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MADEMOISELLE DE MAGLAND. 141 XV. MARIE A SARA. Votre départ m'a tout enlevé, Sara; vous seule me défendiez de ces regrets énervants, de ces affreuses tristesses, de ces pensée» amères qui dévorent ma vie ; maintenant une sombre rêverie enve- loppe tous mes jours, et ne me laisse sentir que l'abominable sup- plice de tourner sous le fouet de la même idée. J'ai pu facilement supporter mes revers de fortune, je me suis pliée à d'autres habi- tudes , mais quand chaque minute apporte une douleur qu'il faut dissimuler, un sentiment qu'il faut faire taire , une émotion qu'il faut réprimer, alors l'existence devient un intolérable tourment, et s'use vite si elle ne se brise dans cet effort ; un chagrin continuel est le poison de toutes les vertus, de tous les talents, et les ressorts de l'ame s'affaissent entièrement dans l'habitude de la douleur. J'ai essayé de combler le vide affreux de mon cœur en reprenant mes anciens travaux, mais j'ai acquis la triste certitude que les talents, pour s'exercer, ont besoin d'être servis par une profonde indépen- dance de l'esprit. Les arts sont le luxe du bonheur; quand je songe à mes premières années, si belles, si calmes, si pleines d'espérance et de sécurité, à ce temps où j'étais protégée par tant d'affection, je peux à peine croire à un réveil si fatal. Mon ame tout entière s'était placée dans mon amour, je no vivais que pour lui, j'avais concentré en lui tout espoir, tout avenir ; et, après l'avoir nourri de son propre sang, do sa propre vie, se l'arracher violemment du cœur! N'avoir plus de port pour s'abriter, plus d'asile pour se re- cueillir, plus de dieu sur son autel ! Quelle destinée ! et c'est la mienne! Moi, faite pour les joies de la famille, pour les chastes et paisibles délices du foyer domestique ; moi, née pour toutes ces félicités que tant de femmes possèdent sans les comprendre, je dois y renoncer pour toujours ! jamais de ces doux moments que