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460 DES CARACTÈRES GÉNÉRAUX il n'est point de forme dont elle ne se soit revêtue pour se rendre accessible à tous. Cette clarté d'exposition ne dérive pas seulement du carac- tère propre de la langue française, mais aussi de l'idée que les philosophes français se sont généralement faite du but de la philosophie. Les philosophes français ne sont pas des soli- taires contemplatifs, se livrant à leurs spéculations sans aucun regard et sans aucun souci de leur influence au-dehors et de leurs conséquences pratiques. Ils ne pensent pas que la phi- losophie soit une science stérile sans rapport aux choses de ce monde. C'est un but pratique que, dans le discours de la méthode, Descartes, comme Bacon, assigne à la philoso- phie. Il explique comment ce but pratique a été jusqu'à lui si généralement méconnu par celte excellente raison, que la plupart s'arrêtent rebutés devant l'apparente stérilité des pre- miers principes de la métaphysique par lesquels il faut néces- sairement passer avant d'arriver aux conséquences qui sont fécondes et pratiques. La philosophie du XVIIIe siècle a été encore plus loin dans cette voie, et on peut dire qu'elle s'est plus préoccupée de la pratique que de la théorie, des appli- cations que des principes. Détruire les croyances vieillies du passé, faire triompher la tolérance, la liberté, l'égalité, les droits sacrés de l'humanité, voilà le but qu'elle s'est cons- tamment proposée. Il semble même que souvent, au lieu de considérer la vérité des principes en eux-mêmes, elle ne les ait adoptés que comme des armes plus ou moins redoutables contre ses adversaires. De là les erreurs, les inconséquences, les contradictions que chacun peut si facilement découvrir et reprendre en elle, et pour lesquelles sera indulgent qui- conque tiendra compte des immenses services qu'elle a ren- dus à la cause de l'humanité. Quelle qu'ait été la diversité des applications de cette mé- thope commune, cependant les résultats et les doctrines de