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MADEMOISELLE DE MAGLAND. 151 pour mieux dire, elle souffre de la comparaison qui s'établit na- turellement entre elle et vous. Les esprits médiocres ne par- donnent pas à la supériorité, et, ne pouvant s'élever jusqu'à elle, ils s'efforcent de la faire descendre jusqu'à eux. Ce n'a pas été sans hésitation et sans regrets que je me suis dé- •cidée à vous inspirer contre votre cousine une méfiance que je crois nécessaire. Il est toujours triste de porter la froide lumière de l'expérience dans un cœur jeune et neuf; mais vous avez grand be- soin, ma chère Marie, d'être mise en garde, non seulement contre les autres, mais encore contre vous-même ; oui, contre votre cœur, et surtout contre votre imagination. Défendez-vous surtout de celte funeste tendance à l'exaltation, qu'avec douleur je vois tous les jours se développer en vous. L'amour, je le sais, donne à l'ame un essor nouveau, il lui révèle des joies jusqu'alors inconnues, il éveille des facultés jusqu'alors endormies, mais cette passion, la seule grande et généreuse que Dieu ait mise dans le cœur de l'homme pour son bonheur, en devient le tourment, s'il permet à son imagination d'en changer la nature en la jettant hors du vrai. Pour qu'un sentiment ait de la force et de la durée, il ne faut pas le dépenser en de folles effusions. L'ame se lasse, et le cœur s'émousse à ressentir trop longtemps et trop souvent les mêmes impressions. La tendresse, dans le mariage surtout, doit être traitée avec plus de ménagements. Il faut craindre que le présent n'y conv promette l'avenir ; pour s'épargner l'amertume d'une comparaison douloureuse, il faut que ce qui a été, que ce qui est, puisse tou- jours être. D'ailleurs, ma pauvre amie, la vie ne saurait appartenir tout entière à l'amour ; les habitudes, les circonstances, les sou- venirs créent des liens que la passion elle-même ne peut détruire. Croyez-moi, il est sage de ne demander à la vie que ce qu'elle peut donner. Vous avez le triste défaut de toutes les imaginations exal- tées, de placer le bonheur en dehors, dans une autre ame ; et il est si rare de trouver dans ce monde un fidèle écho de son cœur, il y a si peu de probabilités pour rencontrer dans la vie l'être qui la complète, qu'il serait plus sage de ne le point espérer. S'il y a si peu d'heureux, ne serait-ce point parce qu'on cherche le bon- heur hors des sources où le ciel a permis de le trouver?