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386 ODES ET POÈMES. lorsque, pour se dérober aux poursuites des Sytvaîns, elles prennent l'oblique sentier d'une grotte, elles n'y vont pas chercher l'infini. Nous comparerions volontiers la poésie de Ghénier à Europe aux pieds d'argent qu'emporte le taureau ravisseur. Celle de M. de Laprade serait le taureau qui cache le Dieu et traverse en mugissant l'océan des choses ; cette poé- sie a, en effet, quelquefois, dans la majesté de ses allures, une certaine pesanteur qui n'exclut pas le caractère hellénique que nous avons signalé. Le taureau se rencontre souvent dans les fables grecques; la monnaie d'Athènes était marquée à l'effigie du bœuf. Nous en avons dit assez, ce nous semble, sur la poésie de M. de Laprade pour que le lecteur puisse maintenant en saisir la physionomie générale. Si notre siècle n'était pas ab- sorbé par les intérêts positifs, ébloui par les prodiges de l'in- dustrie, si les choses de l'imagination etde l'esprit avaient en- core quelque crédit, le nom de notre compatriote serait dans toutes les bouches. L'indifférence de notre temps n'a pourtant rien qui doive décourager les poètes qui surgissent, et les faire douter d'eux-mêmes. Quelle attention le public apporte- t-il à l'œuvre des Maîtres; il n'a pas môme lu les Recueille- ments de M. de Lamartine; il a sifflé les Burgraves; toute philosophie et toute poésie sont suspectes d'anarchie, de com- munisme et de folie. Y a-t-il beaucoup d'esprits qui éprouvent ce que Montaigne appelait le besoin de se faire particulière- ment la cour, en lisant à de certaines heures, avec recueille- ment et en secret, quelques vers noblement écrits? L'homme croit avoir tout conquis parce qu'il aura comblé quelques vallées, creusé quelques tunnels, posé au front de Cybèle quelques bandelettes de fer. Mais celui qui considère la nature comme un sphinx et en devine les énigmes, celui-là aussi est conquérant. Comprendre quelqu'un, c'est s'égaler à lui. Nous serions Dieu, affirment les philosophes, si nous ar-