Revue du Lyonnais » série 1 - n°19 ( 1844 ) » pp.374

374                    ODES ET POÈMES.

lions qui agitent le monde. Ce serait nous rendre solidaire
de l'erreur de ces critiques qui s'en vont criant aux poètes:
concluez, concluez !—Mon Dieu, patience! l'avenir s'en char-
gera. Us n'ont mission que de répandre le grain; plus tard
l'épi sortira de terre ; mais encore faut-il qu'ils sèment le
bon grain, celui de la moisson future et non de l'infertile
poussière, même de la poussière d'or. Les idées forment
dans la vie des sociétés comme une sorte de sève spirituelle qui
circule partout, et qui, chez quelques intelligences privilégiées,
s'épanouit au dehors en fleurs étincelantes ; quand ces fleurs
apparaissent, elles n'ont rien qui nous étonne, tant il semble
que chacun de nous les recelait en lui et en avait deviné le
parfum. Ce qui tressaille obscurément au fond de notre in-
telligence, le poète nous le fait loucher, i! l'offre à nos doigts
ravis sous la forme d'une belle fleur, et c'est en ce sens qu'il
est révélateur. Mais vouloir de lui une formule exacte, c'est
le contraindre à se faire l'organe d'une secte, c'est lui ôler
sa spontanéité, c'est à dire toute sa force. N'exigeons qu'une
chose, c'est qu'il ne s'isole en rien de la société, qu'il s'ins-
pire de ses besoins, qu'il incarne en lui ce qui est en elle ;
si son chant est quelquefois vague, ne nous hâtons pas de
le condamner etde fermer notre oreille, car les formules qui ont
le plus puissamment influé sur le monde n'ont jamais, à leur
origine, été dépouillées de tout nuage, à l'insu môme de ceux
qui les émettaient. Les grands poètes et les grands législateurs
n'ont jamais fait autre chose, les uns de chanter, les autres de
codifier des sentiments ou des vérités qui flottaient dans les
esprits. Si les choses se passaient autrement, comment feraient-
ils accepter leurs chartes ou leurs hymnes?
  Nous ne disconvenons pas qu'il résulte de tout ce que
nous venons de dire, que si le poète doit répudier toute
prétention à un socialisme étroit et exclusif, il est de son
devoir de mettre son intelligence en contact avec la chaîne