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DE PAUL DIDIER. 353 laissé, Didier vit un brouillard épais lui dérober les traces du sentier qu'il avait à suivre ; les chalets n'étaient pas encore habités; un effrayant silence régnait autour de lui; aucun être vivant ne pouvait lui indiquer sa route ; égaré au milieu de rochers inconnus, livré à ce morne abandon qui a quelque chose de si accusateur pour une conscience trou- blée, Didier fut saisi d'une sorte de défaillance morale ; ses dernières forces l'abandonnèrent; — il se donna peur, suivant l'énergique expression d'un paysan d'Anes qui racontait cette triste odyssée-, et, brisé de fatigue et d'émotions poi- gnantes, il tomba sur la terre humide. En ce moment, les jours qui venaient de passer pré- sentèrent à son ame leur tableau de sang et de proscription. Il avait appris les désastres, la violente répression de la nuit du 4 mai ; dans ce pays où il marchait sans savoir, sans connaître, ne craignait-il pas de rencontrer encore quelques- uns de ses complices qui lui demanderaient compte du sang qu'il avait fait verser? Nul bruit du monde ne venait à son es- prit, si ce n'est le souvenir du passé, l'horreur du présent et l'effrayante pensée du lendemain.—Cette heure fut terrible. A cette prostration des forces du corps et de l'intelligence succéda bientôt l'ivresse du désespoir qui pousse le malheu- reux au devant de l'échafaud; après quelques instants d'un repos entremêlé de cruelles visions, Didier releva ses membres endoloris, et, résigné à la mort, il reprit fatalement la route de Sainl-Sorlin. Cependant, par instinct, en redescendant la montagne qu'il avait gravie peu d'heures auparavant, il sut éviter les sentiers battus, le chemin qui conduisait à l'au- berge de Balmain, et, après une longue marche, il arriva devant une maison solitaire de Saint-Jean d'Arves, petite commune voisine de Saint-Sorlin. Une vieille femme était assise sur le seuil de celte maison. Didier lui demanda l'hospitalité.