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288 BÉRANGER longues : il ne savait quel genre devait l'attirer; mais il se sentait poète. Il s'est essayé tour à tour dans l'ode, dans la poésie épique, et toutes ces premières tentatives d'une plume encore novice, se distinguent déjà par une heureuse et facile simplicité qu'il devait alors bien plus à un instinct du beau qu'à un goût encore peu exercé. Courier, de son côté, annonce déjà dans sa correspondance d'Italie ce que pourra un jour l'incomparable pamphlétaire. Ses lettres abondent de détails piquants, de plaisanteries fines et mordantes; cependant, il est jeune, et sa plume n'a pas encore l'amertume qu'elle devra acquérir plus lard au spectacle de l'injustice, et par l'habitude de l'ironie et de la raillerie ; mais, dès cette époque, il n'y a pas un instant où sa phrase courte, vive, travaillée s'aban- donne ou s'allanguisse. Aussi quelle différence dans leurs destinées ! Béranger est resté et restera toujours populaire, tandis que Courier est déjà presque dans le domaine de l'é- rudition. El cependant, tous deux, comme nous l'avons déjà dit, sont sortis du peuple ; tous deux se sont sans cesse relevés de cette origine honnête, ce qui veut dire souvent plus que glorieuse; et cependant Courier a écrit partout avec la re- cherche de la simplicité naive, selon sa propre expression ; et cependant Béranger a parlé dans la langue poétique la plus pure, et le peuple ignore Courier le vigneron, tandis que Béranger le poète s'est vu chanter partout par ce peuple dont il ambitionne toujours et surtout le suffrage. Comme ces premiers lyriques grecs, dont il possède la riche simplicité, il aurait pu oublier d'écrire ses vers, nous les aurions retrou- vés dans la bouche de tous ses contemporains, nouveaux rhapsodes de ce nouvel Homère. D'où vient cela ? d'où vient que l'un n'a pas atteint cette naïveté qu'il poursuivait, et que l'autre l'a trouvée presque sans y avoir songé, dès le début de sa carrière? Pourquoi,