page suivante »
255 à chaque nouvelle œuvre. Et peut-être aiderons-nous à quelques unes de ces exécutions de prompte justice que le bon sens lyonnais a fait plus d'une fois des productions les plus en vogue à Paris. Les œuvres musicales sont en possession d'occuper trop exclusivement les critiques de théâtre. De là souvent, sur le mérite des artistes, une discussion tout-à -fait oiseuse à notre point de vue ; la valeur de telle note, dans le gosier de tel chanteur, occupe souvent un feuilleton presqu'entier. Notre critique n'ira pas jusqu'à ces minutieuses personnalités ; nous apprécierons, en général, la manière dont les divers genres sont représentés sur nos deux théà lres, et nos observations sur les artistes porteront sur l'ensemble de leur talent, comme aussi sur l'ensemble des acles de l'Administration. Nous pouvons rendre à la Direction cette justice que le personnel de l'opéra et du drame est assez convenable, sans parler des talents hors ligue qu'elle s'attachera sans cloute à conserver. Les difficultés de cette année expliquent comment nous n'avons pas eu de nouveautés musicales, pendant la saison : on nous promet cependant la Nizza de Grenade, de Donizelli, qui a eu quelques succès sur d'autres scènes. Les Célestins nous ont donné Le Maître d'école, spirituelle satire des inspections d'université ; Mtrovée, bouffonnerie assez amusante ; Magdeleine, drame sans vice ni vertu, et Mathilde, qui arrangé comme il est pour la scène, devient la meilleure critique du roman d'où il est tiré. Nous sommes heureux d'avoir un succès vraiment littéraire à consta- ter au Grand-Théâtre : Molière à Chumbord, joué mardi pour la pre- mière fois, est une de ces rares œuvres aussi nobles de style que de sentiment, et l'accueil qu'elle a reçu à Lyon atteste parmi nous des goûts élevés. Avec un simple trait de la vie de Molière et de Louis X I V , sans les complications d'intrigues qui coûtent si peu à nos vulgaires faiseurs, M . Auguste Desportes est parvenu à exciter un intérêt toujours soutenu pendant quatre actes, et avec des vers, cette divine langue, que tant d'oreilles re- poussent cependant. C'est qu'il y a à la fois dans sa pièce des détails du plus fin comique et une peinture de caractère admirablement étudiée. La royauté du génie aux prises avec la morgue aristocratique, le ridicule et la sottise s'aidant des préjugés pour se venger de l'écrivain qui les châtie, une ame triste et tendre froissée dans ses plus douces affections, obligée de porter le masque de la satire et de la gaîté bouffonne, un esprit libre contraint à la courtisaneric, pour échapper aux outrages des courtisans, voilà ce que M . Desportes avait à nous représenter, et tout cela avec la grande figure de Molière : la tâche était difficile, il fallait prendre des couleurs à Molière, pour faire peindre Molière par lui-même ; c'est-à -dire qu'il fallait avec l'éclat du trait et la fermeté du style, la parfaite connaissance du cœur et