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450 nous ne la craignons pas, devons-nous l'aimer? Devons-nous la désirer. Qu'est-ce que la guerre en elle-même? Rien que l'exerci- ce brutal d'un instinct tout animal de l'homme, et trop souvent un jeu féroce de gladiateurs entrepris pour satis- faire les vengeances, l'amour propre des gouvernements ou même de leurs maîtresses capricieuses. Ce n'est qu'une chas- se à courre, disait Bonaparte après la victoire de Marengo. Qu'est-ce que la guerre? disait encore Napoléon devant Moscou, un métier de barbares, où tout l'art consiste à être le plus fort sur un point donné. Qu'est-ce que la guerre dans l'enfance des sociétés ? Elle est le premier et le plus efficace moyen de civilisation. C'est par la guerre que les familles éparses apprennent à se réunir, à s'associer. Cette organisation militaire toute gros- sière, renferme déjà le germe de l'organisation civile qui lui succédera. C'est par la guerre qu'une peuplade devient une nation; c'est par la guerre qu'un peuple apprend d'abord à connaître ses voisins , à se connaître lui- même. Mais, dans l'état actuel de l'Europe, nous ne pouvons ad- mettre le principe de Spinosa : que le droit et la force sont un. Dans l'Europe où toutes les nations sont égales par leurs lumières, par leurs besoins, par leurs souffrances, par leurs désirs, le gaspillage des bivouacs ne profitera jamais aux peuples, la guerre sera presque toujours un obstacle au progrès, et sa torche incendiaire fera pâlir les lumières de la civilisation. Voilà ce qu'est la guerre. Si nous sommes contraints à l'accepter pour défendre nos droits à l'égalité européenne, craignons le despotisme qui naît dans les camps; n'oublions jamais qu'avec le même fer qui a gagné des batailles, on forge les ciseaux de la censure et les verroux des bastilles.