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      Ainsi, le Théâtre-Français nous offre en ce moment,
   sous les traits de deux faibles femmes, les deux faces essen r
  tielles de la passion dramatique , et en quelque sorte les
  pôles extrêmes de Fart, là son expression pathétique, ici
  sa réalisation savante. Mademoiselle Rachel et madame
  Dorval, ce sont en effet les représentants les pluséminents,
  dans leur diversité, de deux ordres de sentiments, de deux
  natures de passion, de deux sortes de langages absolument
  distincts. Elles expriment avec une fidélité non moins par-
  faite deux civilisations et, pour ainsi dire, deux huma-
  nités qui ne sont pas les mêmes. D'un côté nous assistons
  à Finterprétation du cœur humain dans ce qu'il a de plus
  général, de plus éternel, de plus absolu, de plus abstrait
  en un mot ; de l'autre se traduit à nos yeux Famé indivi-
 duelle, avec toutes ses nuances, ses caprices, ses contrastes
 infiniment variés. O r , cette situation a cela de favorable,
 qu'elle permet une étude chaque jour comparée non-seu-
 lement de Fidiosyncrasie particulière de l'une ou l'autre
 actrice, mais encore de la valeur des systèmes dont elles
 sont les organes de prédilection ; le propre de leur talent
 étant de faire ressortir sous le joug le plus vif les mérites
 et les défauts du genre que chacune s'applique à faire
 valoir.
     L'impression si diverse qu'on éprouve aux représenta-*
 tions de mademoiselle Rachel et de madame Dorval rend
 très bien compte, ce nous semble, des deux génies opposés
du drame et de la tragédie. Ce qu'on ressent de part et
d'autre de plaisir et d'ennui, pourrait indiquer suffisam-
ment ce qu'il y a de légitime et de réprouvable dans cha-
cune de ces formes. Lorsqu'on entend les beaux vei's de
Corneille et Racine récités par la bouche savante de made^
moiselle Rachel, on apprécie plus vivement que jamaia
tout ce que la tragédie, telle que l'entendaient les maîtres
du dix-septième siècle, enferme de sentiments vrais et
profonds, de détails attachants, de fine analyse, de beau
langage. Mais les qualités mêmes les plus précieuses de
mademoiselle Rachel, la vérité et le naturel de sa diction,
la simplicité de ses moyens, la correction extrême de sou
goût, en faisant prédominer certains côtés admirables de
la tragédie, ne montrent que mieux l'abaissement des
autres. L'esprit plus frappé de l'importance du discours et