page suivante »
299 curilè de sa demeure. — Comment se développèrent ses pre- mières dispositions musicales? Par quels efforts parvinrent- elles à se faire jour? Par quels stratagèmes donna-t-il satis- faction à des goûts aussi antipathiques à sa caste ? Par quelle force de végétation surmonta-t-il les conditions ingrates d'une température aussi contraire ? Lui seul pourrait le dire. Néanmoins, comme ces plantes qui ont souffert par la privation des éléments nécessaires à leur développement, tantôt s'allongeant outre mesure pour leur grêle complexion, tantôt ne poussant que quelques rameaux appauvris, le père Guérin porte l'empreinte de toutes les résistances contre les- quelles il eut à lutter. Il y a dans les plis de son visage, dans la maigreur de ses membres, dans la courbure voûtée de son corps, dans sa démarche vacillante, l'expression d'une plainte continuelle.L'iutelligence seule estrestée victorieuse,abandon- nant le corps à l'ennemi, mais, dans la prison que lui a faite la destinée, gardant sa volonté. On voit que pour conserver cette volonté, pour la mettre à l'abri d'un contact impur, pour la défendre contre l'action d'une dangereuse atmosphère , l'homme a dû sacrifier tout autre souci, il s'est laissé badi- geonner à l'extérieur, ainsi que l'ont voulu ses maîtres. Ce- lui qui ne le connaîtrait pas pourrait le prendre pour un marchand de toile, il en a le costume, la démarche, l'accent commun et patoisé ; enfin il paraît toilier, aussitôt qu'il n'est plus musicien. Cela môme explique pourquoi la passion musicale de Gué- rin ne l'a pas fait sortir de ce monde là ; il n'a pas cherché à s'élever. — L'ambition ne lui est pas venue, faute de temps, et aussi à cause de son horizon borné. L'amour de l'art exis- tait chez lui à l'état d'instinct pur et désintéressé, comme toutes les vertus qui s'appuyent sur la foi et qui trouvent leur satisfaction dans une pratique patiente. On peut dire qu'il a senti la musique, a l'égal d'une religion, à la manière de ces curés de village, vrais apôtres, s'inquiétant plus du salut que de la qualité de leurs ouailles. C'est pourquoi Guérin prit le public qu'il avait sous la main , sans songer même qu'il y aurait certainement plus de gloire, et surtout moins de fa- tigue à en avoir un autre. Vivant avec des gens de petit état, au milieu de boutiquiers et déjeunes commis, c'est sur eux qu'il dirigea le souffle de son ame, plus apte au prosélytisme, que sensible à l'exquise perfection des résultats.