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curilè de sa demeure. — Comment se développèrent ses pre-
mières dispositions musicales? Par quels efforts parvinrent-
elles à se faire jour? Par quels stratagèmes donna-t-il satis-
faction à des goûts aussi antipathiques à sa caste ? Par quelle
force de végétation surmonta-t-il les conditions ingrates
d'une température aussi contraire ? Lui seul pourrait le
 dire.
   Néanmoins, comme ces plantes qui ont souffert par la
privation des éléments nécessaires à leur développement,
tantôt s'allongeant outre mesure pour leur grêle complexion,
tantôt ne poussant que quelques rameaux appauvris, le père
Guérin porte l'empreinte de toutes les résistances contre les-
quelles il eut à lutter. Il y a dans les plis de son visage, dans
la maigreur de ses membres, dans la courbure voûtée de son
corps, dans sa démarche vacillante, l'expression d'une plainte
continuelle.L'iutelligence seule estrestée victorieuse,abandon-
nant le corps à l'ennemi, mais, dans la prison que lui a faite la
destinée, gardant sa volonté. On voit que pour conserver cette
volonté, pour la mettre à l'abri d'un contact impur, pour la
défendre contre l'action d'une dangereuse atmosphère ,
l'homme a dû sacrifier tout autre souci, il s'est laissé badi-
geonner à l'extérieur, ainsi que l'ont voulu ses maîtres. Ce-
lui qui ne le connaîtrait pas pourrait le prendre pour un
marchand de toile, il en a le costume, la démarche, l'accent
commun et patoisé ; enfin il paraît toilier, aussitôt qu'il n'est
plus musicien.
   Cela môme explique pourquoi la passion musicale de Gué-
rin ne l'a pas fait sortir de ce monde là ; il n'a pas cherché à
s'élever. — L'ambition ne lui est pas venue, faute de temps,
et aussi à cause de son horizon borné. L'amour de l'art exis-
tait chez lui à l'état d'instinct pur et désintéressé, comme
toutes les vertus qui s'appuyent sur la foi et qui trouvent leur
satisfaction dans une pratique patiente. On peut dire qu'il a
senti la musique, a l'égal d'une religion, à la manière de ces
curés de village, vrais apôtres, s'inquiétant plus du salut que
de la qualité de leurs ouailles. C'est pourquoi Guérin prit le
public qu'il avait sous la main , sans songer même qu'il y
aurait certainement plus de gloire, et surtout moins de fa-
tigue à en avoir un autre. Vivant avec des gens de petit état,
au milieu de boutiquiers et déjeunes commis, c'est sur eux
qu'il dirigea le souffle de son ame, plus apte au prosélytisme,
que sensible à l'exquise perfection des résultats.