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servit la volonté et la raison, et qui frappe du même impôt la mi-
sère et la fortune, en étendant peu à peu son empire sur toutes les
régions du globe.
    Jusqu'alors, on ne s'était pas douté qu'il fut possible de trouver
une sorte de plaisir à respirer une vapeur acre et stupéfiante ou à
se remplir les fosses nazales d'une poudre irritante : l'Europe était
vierge de ces habitudes anomales. Des voyageurs découvrirent, il
est vrai, des peuplades sauvages qui, dans l'enfance de la civilisa-
tion, brûlaient des plantes aromatiques et stimulantes dans des calu-
mets; mais nulle part on ne trouve bien prouvé l'usage de priser.
Pourtant, les habitudes les plus singulières furent observées dans
diverses contrées jusqu'alors ignorées : les uns se perçaient les lè-
vres, le nez, les oreilles; d'autres'se tatouaient, se stigmatisaient la
peau, mais aucun ne s'introduisait des substances minérales ou vé-
gétales dans les narines (1). Si l'usage de fumer est venu du Nou-
veau-Monde, l'usage de priser est d'origine européenne ; et, ce
qu'il y a de plus singulier, c'est que le premier nous ait été suggéré
par l'ignorance et la barbarie, et que le second soit né au milieu
 de la civilisation.
    C'est en 1604 (il y a par conséquent près de deux siècles) que le tabac
fut introduit en France par Nicot, ambassadeur en Portugal, qui en en-
voyaàCatherine de Médicis. D'après des documents dignes de foi, long-
temps avant, un ermite l'avait déjà fait connaître. Mais qu'importe
l'origine précise de cette introduction eu Europe ! ce qu'il est essen-
 tiel d'établir, ce sont les progrès de son usage, l'empire étonnant
 qu'il a pris dans les habitudes sociales, et l'influence qu'il peut avoir
sur la santé, les mœurs, l'intelligence. D'abord, objet de luxe, il ne
fut usité que par la richesse et l'opulence ; ensuite il descendit rapi-
dement dans la foule, devint populaire, et fut même abandonné par
 ce qu'on appelait la bonne société. Pendant les orages de la Révo-
jution, cet usage diminua singulièrement. Les ambitions, la terreur
et la mort se disputaient sur les ruines de l'état social. Les peuples


   (1) Il est possible que, sous ce rapport, mes recherches aient été incom-t
plèles, ce qui n'influe en rien sur l'importance de la question,