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236 gorïques, ou même des statues de rois ou d'empereurs, aux- quels une ville, une province ne seront quelquefois rede- vables que d'un mauvais gouvernement. Et quand même la puissance et la gloire auraient marqué un règne, quand même les peuples auraient joui en paix d'une heureuse abondance et d'une prospérité due principalement au zèle du prince et à son amour pour ses peuples, il nous semble que, dans l'érec- tion des statues, dans une rémunération quelconque, les hom- mes illustres d'une province, les bienfaiteurs, les regénéra- teurs d'une ville doivent avoir le pas sur tout le reste. Il y aura alors un sentiment de famille, en quelque sorte., qui fera aimer la noble image d'un noble citoyen dont la carrière fut signalée par des vertus et par d'éminents services. Mais, au XIXe siècle, que peuvent signifier^ sur notre place de Belle- cour une statue équestre de Louis XIV ? A quelle pensée, à quelle affection locale et populaire cela répond-il? Malgré notre rétif enthousiasme pour la glorification des hommes par les statues, nous sommes loin de nous plaindre de ce qui se fait à Lyon, car les statues ne sont point ce qui dépare ou embarrasse la cilé. Il semble, toutefois, que l'on y va d'une belle ardeur, et nous aurons bientôt la statue du major général Martin. A la bonne heure pour de tels hommes, qui ont d'inconleslables droits à la reconnaissance de leurs concitoyens. Rien de mieux que de placer sous les yeux de la foule ce modeste Jacquard, dont le génie d'abord méconnu sut apporter des trésors à nos fabriques lyonnaises, et adoucir à nos ouvriers un labeur difficile. D'autres villes ont donné le signal ; Strasbourg a inauguré son Gutenberg, el voilà que Boulogne-sur-Mer veut avoir son athée Daunou. 11 est déplorable que la statue de Jacquard soit si malencon- treusement faite, et que les yeux les plus inexperts aient à se détourner de cet ouvrage informe. L'inauguration de ce mo- nument, sous une administration intelligente et habile, au- rait pu devenir pour la cité l'occasion d'une grande fête popu- laire, où fabricants et ouvriers, oublieux du passé, seraient venus fraterniser ensemble au pied de la statue de Jacquard. Mais, non ! au lieu d'une solennité en l'honneur du travail, nous n'avons eu qu'une banale cérémonie officielle. M. le maire s'est fait en toute hâte une espèce d'immortalité ; il a voulu léguer son nom à l'avenir, et il s'est beaucoup plus préoccupé de lui-même que de l'hommage à rendre à notre illustre mécanicien. Aucune dépulation n'a été appelée du dehors à assister à celle cérémonie, et les invitations ont été faites, pour notre cité même, de telle façon, que l'estrade réservée serait restée en grande partie inoccupée, si on ne l'avait ouverte à la foule qui se pressait autour.