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390 scène pourtant qu'il a sous les yeux devra se renouveler, sans qu'il s'écoule bien des années, et il y jouera un triste et déplorable rôle. Mais sa jeunesse inexpérimentée n'en éprouve pas moins un secret désir d'avoir pour elle ces trésors d'amour et de beauté, qui se trouvent sacrifiés maintenant, et Henri les convoite en lui-même, dût-il un jour en passer par la turbulente péripétie de son ami. Quelle était donc cette jeune et belle femme que l'un abandonnait, et dont l'autre déjà couronnait ses rêves d'avenir? — Dans les riches et verdoyantes plaines du Berry, sur les rives de la Creuse, Marianna de Belnave menait une vie silencieuse et paisible, trop disciplinée pour son ame inquiète et chercheuse 5 cependant, elle était en- tourée de tout ce qui entre ici-bas dans les ordinaires con- ditions du bonheur. Jeunesse et beauté, opulence et bien- être, amitié d'une sœur, affection d'un époux, bénédiction de l'indigent secouru, du malheur consolé : elle avait sous la main tout ce qui fait des jours sereins et calmes, si les orages ne troublaient soudainement les flots les plus apla- nis, si le cœur humain ne couvait d'insatiables ardeurs qui le brisent et le perdent. L'époux de Marianna, M. de Belnave, était un de ces hommes sérieux, graves, rangés, honnêtes et foncièrement bons, mais peu expansifs, peu rêveurs surtout, peu romantiques. Il concentrait ses pen- sées et ses méditations dans les forges de Blanfort, mais il était avec cela rempli de condescendance et d'égards pour Marianna. Celle-ci, ne trouvant, ni dans les livres aimés, ni sous le toit domestique, ce que cherchait son ame en peine, voulut un jour faire diversion à ses ennuis cachés. On disposa tout, on quitta Blanfort, on se rendit aux eaux de Barèges. Là donc, un jeune homme d'élégantes manières et de bonne naissance fut le bienvenu et l'intime