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294 les criminels condamnés à mourir de faim. Le patient étendu sur cette claie ne pouvait pas même s'y lever à mi-corps ; et les cris de son agonie ne pouvaient descendre jusqu'au peu- ple sur la tête duquel il était suspendu. Lorsque la révolution rouvrit aux Français la route de l'Italie, faisant partout jus- tice des anciennes cruautés, ils renversèrent cette cage, comme ils ouvrirent les cachots de Venise. Plus tard, Na- poléon changea la tour fatale en un belvédère qui porte en- core la trace de ses visites, et du haut duquel il pouvait em- brasser , d'un seul coup-d'csil, presque tous ses glorieux champs de bataille semés dans la Lombardie à côté de ceux de Louis XII et de François 1 er . Quel admirable tableau ! Au midi, on aperçoit les crêtes des Apennins voilés par les va- peurs enflammées de l'horizon; au couchant la plaine sans limites qui fuit vers le Milanais; au levant, une autre im- mensité qui mène à Venise; mais, au nord, l'œil se repose sur des lignes plus arrêtées ; il distingue aisément Vérone assise au pied de ses montagnes, les rochers dont les bras gigantesques entourent le bassin du lac de Garda, le vaste soulèvement des Alpes dont les dernières palpitations accom- pagnent le cours de l'Adige. Sur cette tour, en élevant mon regard de la saulaie touffue de Piétola, vers la chaîne des Alpes, il me sembla que je venais de pénétrer le secret du génie de Virgile. Les montagnes occupent une place importante non seule- ment dans les harmonies physiques de la terre, mais encore dans les harmonies morales de l'espèce qui l'habite. De leurs sommets descendent ordinairement les races qui renouvellent la civilisation ; et lorsqu'elles se sont, à leur tour, amol- lies et corrompues, on dirait que c'est encore aux lieux d'où elles sont parties qu'elles trouvent les inspirations et les sen- timents destinés à les régénérer. Ne voit-on pas, depuis près d'un siècle, l'Europe entière, tourmentée par toutes les