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53 aucuneparole qui remuât vivement l'esprit des peuples. La lyre chrétienne était muette aussi, et quelques beaux, mais rares accords de Prudence, voilà tout ce que nous offre la poésie religieuse du IYe siècle. Pourtant, elle aurait pu, ce nous semble, rencontrer de nobles inspirations dans les destinées de la foi du Christ. A mesure que la croix s'élevait radieuse, et projetait son éclat sur l'univers ; à mesure que l'on déser- tait les autels païens, que les temples des idoles se fermaient, et que le christianisme, sorti de ses longues souffrances, vo- yait des jours meilleurs, sinon plus glorieux, la lyre du poète pouvait chanter les triomphes du Christ et les espérances de ses enfants, célébrer la gloire des martyrs anciens et le cou- rage des apôtres nouveaux. Que la poésie profane, ne s'épre- nant que de vils intérêts, de pensées mondaines et terrestres, fût pâle et froide comme le sujet de ses affections, cela se conçoit; mais que la poésie chrétienne, qui avait devant elle tout un vaste monde de sublimes et touchantes vérités ; que celte poésie, qui pouvait proclamer de si nobles enseigne- ments, n'éclipsât pas sa faible rivale, c'est ce que l'on ne saurait ni comprendre, ni assez déplorer. Il faut dire néan- moins que Prudence fut digne quelquefois de la haute mission qu'il s'imposa, et qu'il y avait un lyrisme tendre et élevé dans l'aine de celui qui trouva les gracieuses strophes aux jeunes innocents morts pour le Christ. Aussi bien, le nouveau genre n'était-il pas facile à traiter. Il fallait sortir de l'ornière, s'é- carter des habitudes suivies jusqu'alors, abandonner entière- ment la mythologie, qui était si commode pour les intelligen- ces peu créatrices. Ce n'était pas, comme on voit, chose fort aisée que de prétendre à l'originalité, d'ouvrir une nouvelle route au milieu de ces souvenirs que nous appellerons clas- siques. Il y avait loin de l'hymne religieux au chant profane, comme du sermon chrétien à la harangue païenne. Prudence aborda le nouveau genre avec assez de bonheur. Aurélius Prudentius Clémens était né en 348, à Calagurris, aujourd'hui Calahorra, ou bien à Cœsar-Augusta, maintenant