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230 JUYÉNILIA, poésie par M. Charles CHANCEL, avec une Préface par M. Anatole PISTON. Quoiqu'en dise la préface de ce livre, un titre ne contribue guère au succès. Nous en aurions préféré un plus simple pour l'œuvre de M. Chancel, qui pouvait se passer de cet innocent charlatanisme, d'ailleurs un peu suranné. L'auteur de cette préface déplore le sort des poètes, et accuse notre époque d'être âpre et rude aux talents qui s'élèvent. Reprochez-lui plutôt de sourire trop complaisamment à toutes les vani- tés , à toutes les ambitions, à toutes les fantaisies de gloire ; depuis que les avenues littéraires offrent une pente si douce et si facile, tout ce qui s'est cru doué de facultés inventives ou intelligentes s'est rué avec fureur dans le champ de la pensée et de la poésie, parce qu'on a quelque facilité, quel- que grâce, quelque sentiment des choses nobles et poéti- ques , on se croit né poète ; en cédant à un caprice, on croit obéir à son destin ; mais les branches qui de loin semblaient s'abaisser sur notre front pour nous offrir leurs fleurs et leurs fruits, se relèvent brusquement à notre approche; les sen- tiers, qui nous avaient paru si mollement inclinés, deviennent escarpés et glissants ; les mains amies qui nous invitaient se retirent; l'avenir nous trahit, et la gloire nous échappe! C'est alors que nous jetons à la vie un cri de désespoir et de ma- lédiction , nous insultons à notre époque, nous flétrissons notre siècle ingrat et sans cœur. Hélas! à ceux qui pleurent et qui blasphèment, le génie seul a manqué ! Que la critique soit donc sévère aux jeunes talents qui s'essaient ; ne sou- riez point à la faiblesse, n'invitez point la médiocrité par des caresses menteuses; mais au vrai mérite, toujours timide et modeste, tendez une main amie, et ménagez le vent au duvet de ses aîles naissantes. Nodier a dit quelque part: « La critique a de beaux mo- ments ; c'est quand elle peut louer en sûreté de conscience. »