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arguments très-subtils, je le prenais tout de bon pour raisonnable , parce
qu'il était raisonneur. Le petit Condillac était encore plus embarassant, parce
que, n'entendant rien , ne répondant rien, ne s'émouvant de rien, et d'une
opiniâtreté à toute épreuve, il ne triomphait jamais mieux de moi que quand
il m'avait mis en fureur; alors c'était lui qui était le sage, et c'était moi qui
étais l'enfant. Je voyais toutes mes fautes, je les sentais; j'étudiais l'esprit
de mes élèves, je les pénétrais très-bien, et je ne crois pas que jamais une
seule fois j'aie été la dupe de leurs ruses. Mais que me servait de voir le mal
sans savoir appliquer le remède? En pénétrant tout, je n'empêchais rien,
je ne réussissais à rien , et tout ce que je faisais était précisément ce qu'il ne
fallait pas faire.
   Je ne réussissais guère mieux pour moi que pour mes élèves. J'avais été
recommandé par Mme Deybens à Mme de Mably. Elle l'avait priée de former
mes manières et de me donner le ton du monde. Elle y prit quelques soins,
et voulut que j'apprisse à faire les honneurs de sa maison ; mais je m'y pris
si gauchemeût, j'étais si honteux , si sot, qu'elle se rebuta, et me planta là.
Cela ne m'empêcha pas de devenir, selon ma coutume ,- amoureux d'elle.
 Je fis assez pour qu'elle s'en aperçût, mais je n'osai jamais me déclarer. Elle
ne se trouva pas d'humeur, à faire les avances , et j'en fus pour Mes lorgne-
ries et mes soupirs, dont même je m'ennuyai bientôt, voyant qu'ils n'abou-
tissaient à rien.
   J'avais tout-à-fait perdu chez maman le goût des petites friponneries, parce
que, tout étant à moi, je n'avais rien à voler. D'ailleurs les principes élevés
que je m'étais faits devaient me rendre désormais bien supérieurs à de telles
bassesses, et il est certain que depuis lors je l'ai d'ordinaire été , mais c'est
moins pour avoir appris à vaincre mes tentations que pour en avoir coupé
la racine ; et j'aurais grand'peur de voler comme dans mon enfance si j'étais
sujet aux mêmes [désirs. J'eus la preuve de cela chez M. de Mably. Envi-
ronné de petites choses volables que 'je ne regardais même pas, je m'avisai
de convoiter un certain petit vin blanc d'Arbois très-joli, dont quelques
verres que par-ci par-là je buvais à table m'avaient fort affriandé. Il était
un peu louche; je croyais savoir bien coller le vin, je m'en vantai; on me
confia celui-là; je le collai, et le gâtai, mais aux yeux seulement; il resta
toujours agréable à boire, et l'occasion fit que je m'en accommodai de temps
 en temps de quelques bouteilles pour boire à mon aise en mon petit parti-
culier. Malheureusement je n'ai jamais pu boire sans manger. Comment faire
pour avoir du pain? Il m'était impossible d'en mettre en réserve. En faire
acheter par les laquais, c'était me déceler, et presque insulter le maître de
la maison. En acheter moi-même, je n'osai jamais. Un beau monsieur, l'épée