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135 d'un mois , des cheveux flottanls à la mode du pays , entre- mêlés de sciure de bois et d'épingles de sapin , s'échappaient en désordre des replis d'un bonnet rouge en laine, et cou- vraient leurs épaules; une ceinture de c o r d e , des culottes courtes et de gros sabots de h ê t r e ; vrais Lazzaroni monta- gnards, indolents pour la bonne besogne, actifs pour la mau- vaise ; piteuse création d'homme et de costume. Le garde, comme on le raconte , était séparé de son arme. Et eux ne quittaient pas leurs haches , ils parlaient bas. Le pauvre Jacques n'avait plus de souffle , plus de jambes pour avancer _, ou pour fuir , poinl de voix pour crier. Et ce fut bien pis une heure après. Dix heures sonnèrent à l'horloge de la maison, et tout à coup , il aperçoit son père saisi, garollé, lié en croix , et com- me un Christ étendu sur la table; et les brigands se prennent à jouer aux cartes à qui lui tranchera la tête. Où trouver une agonie plus lente que celle de Jacques de- vant cet infernal enjeu? Le père était pris devin. Il ne sentait rien. Il était, on peut le dire , déjà bien avant dans l'autre monde. — Ta hache a le fil, dit un de ces malheureux, je te la retiens si c'est moi. — Si c'est t o i , j'ai l'avance , répliqua son adver- saire ! à toi l'honneur. — C'est en partie liée ; mais buvons un coup à sa santé, ajouta le troisième, en montrant le garde étendu. — A ta santé ! — et ils buvaient aussi tranquillement que s'ils allaient faire une bonne œuvre. — En tous c a s , ne me l'ébrêche pas : les gardes ont la tête dure. — Pas plus qu'un nœud de sapin. — Tu en sais donc quelque chose ? — Cœur.— Carreau.— Atout. — Jacques entendait tout cela. Et ce dialogue dans un patois dont l'accentuation s'harmonisait avec cette funèbre scène finit avec la partie décisive.