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trop à sentir, mais ce sera pour vous tout b o n h e u r , car au-
cune pensée triste ne viendra , sans cesse glacer vos impres-
sions. C'était le contraire qui m'arrivait à m o i , exilé, lorsque,
il y a de cela seize mois , je me promenais grave et rêveur
sur la promenade du Casino ! Cependant, je conserve de Lau-
sanne le plus agréable souvenir. En vous en parlant, je m'y
s u i s , de nouveau , transporté. Tout-à-1'heure, sur mon gra-
bat , je serai heureux d'y rêver ; puisse les gardiens, qui vien-
d r o n t , au milieu de la nuit , constater ma présence, faire
crier moins fort qu'à l'ordinaire , les verroux et les serrures
de ma p o r t e ! En me réveillant, ils anéantiraient ces courts
instants de joie et de liberté que vont me procurer mes rêves
sur la Suisse. Quel étrange acharnement que celui qui ne
permet pas au prisonnier de se conserver même , en rêve ,
un fantôme de bonheur !....



   Trois jours après la fin du Tir, Edouard et moi, nous avions
chargé nos épaules d'un bavresac, e t , le long bâton ferré en
main , nous quittions Zurich pour commencer un long voyage
pédestre. Pendant plusieurs mois , nous avons couru de mon-
tagne en montagne, visité les pics, les lacs , les glaciers les
plus célèbres de la Suisse et de la Savoie , pour venir, ensuite,
en passant par la Cour des Pairs et.quatre prisons de Paris ,
dans l'antique et solitaire abbaye que fonda , jadis , saint Ber-
nard , mais qui n'est plus aujourd'hui qu'une lugubre prison.
Nos voyages ne sont pas terminés pour cela. Pendant une
nuit qui ne saurait être éloignée , on nous mettra dans une
voilure , au milieu de gendarmes , et on nous conduira, à
toute b r i d e , à DoviUens. Qui sait même si cette station sera
la dernière?... P o u r q u o i , en effet, reculerait-on devant l'idée
de jetler les Déportés sur quelque terre aride , par d é l a i e s
m e r s ! . . . Est-on donc habitué à tant d'humanité ! Pour n o u s ,
prisonniers , quoiqu'on fasse de nos corps , nous n'oublierons
pas cette sentence que le besoin de la résignation la plus