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233 puis, revient avec une bêle au cou , juso^. Y ce qu'un jour il ne revienne pas et s'en aille rejoindre Jean, qui fut mon chasseur avant lui, et s'est tué pour ma satisfaction personnelle. Autre exemple : Je dis le soir à Maurice, mon pêcheur : Maurice, il me faut des truites. Et voilà Maurice, qui, malgré la nuit et la bise, va se plonger dans le torrent qui sort de nos glaciers, jusqu'à ce qu'il revienne avec la provision voulue , et la douce perspective de mourir d'une fluxion de poitrine ainsi que l'a pratiqué son devancier Joseph. —J'appris en outre de M. Dumas la singulière façon dont mes pêcheurs attrappent les truites et je ne fus pas peu surprise de savoir que,, grâce à moi, lui-même avait été acleur dans une de ces originales expéditions (1). Il faut convenir, du reste, que M. Dumas ne me flattait guère et me prêtait le rôle d'un tyran bien peu délicat.—J'eusse pu me fâcher ; il me sembla beaucoup plus sage de rire. Mon voyageur , homme d'esprit, et qui comprit â l'instant ce qu'il en élait, se mit à rire comme moi. Quelqu'un était là qui se prit à rire plus fort que nous deux : c'était le grand escogriffe de garçon dont je vous ai parlé tout à l'heure. Du seuil de la porle il avait assisté à notre conversation et à la lecture du chapitre de M. Dumas, que j'avais faite à haute voix. — Qu'est-ce qu'il y a? fis-je, en me retournant vers lui. — Il y a, madame, répondit-il, que le parisien l'a pro- prement gobé. — Il me rappela alors le voyageur auquel il avait (1) Les deux instrumens de cette pèche , selon M. Dumas , sont une serpe et une lanterne. Le premier est la serpe ordinaire de nos bûcherons; le second est un globe de corne, auquel on adapte un conduit de fer-blanc de plusieurs pieds de haut, de la forme et delà grosseur d'un manche à balai. Cette lanterne avec son long tuyau est destinée à explorer le fond du torrent, tandis que le haut du conduit, sortant de l'eau, laisse pénétrer dans l'intérieur du globe, la quantité d'air suffisante à l'alimentation de la lumière. Le pêcheur se tient au milieu de l'eau et y enfonce sa lanterne. 0e cette manière , le lit de la rivière se trouve éclairé circulairement , et les truites, qui se meuvent dans le cercle qu'embrasse cette lueur , ne tardent pas à s'approcher du globe , comme font les papillons et les chauve-souris attirés par la lumière , se heurtant à la lanterne et tournant autour d'elle. C'est alors que le pécheur , levant doucement la main qui tient le fallot, attire le poisson qui suit la lumière jusqu'à fleur de l'eau, et le frappe aussitôt de sa serpe. M. Dumas raconte avoir fendu lui-même en deux une truite superbe.