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 puis, revient avec une bêle au cou , juso^. Y ce qu'un jour il ne
 revienne pas et s'en aille rejoindre Jean, qui fut mon chasseur
 avant lui, et s'est tué pour ma satisfaction personnelle. Autre
 exemple : Je dis le soir à Maurice, mon pêcheur : Maurice, il me
 faut des truites. Et voilà Maurice, qui, malgré la nuit et la bise,
 va se plonger dans le torrent qui sort de nos glaciers, jusqu'à ce
 qu'il revienne avec la provision voulue , et la douce perspective
 de mourir d'une fluxion de poitrine ainsi que l'a pratiqué son
devancier Joseph. —J'appris en outre de M. Dumas la singulière
façon dont mes pêcheurs attrappent les truites et je ne fus pas peu
surprise de savoir que,, grâce à moi, lui-même avait été acleur
dans une de ces originales expéditions (1).
   Il faut convenir, du reste, que M. Dumas ne me flattait guère
et me prêtait le rôle d'un tyran bien peu délicat.—J'eusse pu me
fâcher ; il me sembla beaucoup plus sage de rire. Mon voyageur ,
homme d'esprit, et qui comprit â l'instant ce qu'il en élait, se mit
à rire comme moi. Quelqu'un était là qui se prit à rire plus fort
que nous deux : c'était le grand escogriffe de garçon dont je vous
ai parlé tout à l'heure. Du seuil de la porle il avait assisté à notre
conversation et à la lecture du chapitre de M. Dumas, que j'avais
faite à haute voix. — Qu'est-ce qu'il y a? fis-je, en me retournant
vers lui. — Il y a, madame, répondit-il, que le parisien l'a pro-
prement gobé. — Il me rappela alors le voyageur auquel il avait

    (1) Les deux instrumens de cette pèche , selon M. Dumas , sont une serpe et
  une lanterne. Le premier est la serpe ordinaire de nos bûcherons; le second
 est un globe de corne, auquel on adapte un conduit de fer-blanc de plusieurs
 pieds de haut, de la forme et delà grosseur d'un manche à balai. Cette lanterne
 avec son long tuyau est destinée à explorer le fond du torrent, tandis que le
 haut du conduit, sortant de l'eau, laisse pénétrer dans l'intérieur du globe, la
quantité d'air suffisante à l'alimentation de la lumière. Le pêcheur se tient au
milieu de l'eau et y enfonce sa lanterne. 0e cette manière , le lit de la rivière se
trouve éclairé circulairement , et les truites, qui se meuvent dans le cercle
 qu'embrasse cette lueur , ne tardent pas à s'approcher du globe , comme font les
papillons et les chauve-souris attirés par la lumière , se heurtant à la lanterne et
tournant autour d'elle. C'est alors que le pécheur , levant doucement la main
qui tient le fallot, attire le poisson qui suit la lumière jusqu'à fleur de l'eau,
et le frappe aussitôt de sa serpe. M. Dumas raconte avoir fendu lui-même en deux
une truite superbe.