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    Bravo! Barbier, dit le peintre. Aussi, moi qui crains le sang à
 la t ê t e , parole d'honneur, depuis deux a n s , je ne vais plus qu'à Bo-
 bino. D'abord, on n'y rougit pas ; secondement, on s'y ébête à
 meilleur marché-, troisièmement, on y fume au foyer, et comme
 dit Cadet-Buteux :
                   Va te promener avec ta baraque royale,
                     Si l'on n'y peut brûler sa cigale !
    Le français reprit :
    Tenez , par exemple , qu'ont-ils fait de l'amour, ces indignes !
 qu'ont-ils fait de ce sentiment dont Michel-Ange a d i t ; « Il épure
 « nos âmes ici-bas ; après la mort il les divinise »!
   Le peintre s'était levé en sursaut. L'expression dé ses traits ve-
nait de changer soudain. — Michel-Ange ! Michel-Ange! s'éeria-t-il
avec un enthousiasme d'autant plus saisissant, qu'il n'avait rien
d'affecté. J'ai bien envie , messieurs , de vous crier : « Chapeau
bas ! » Oh ! que dirait aujourd'hui ce grand h o m m e , lui qui ne
sembla passer tant de jours sur la terre que pour y devenir le
modèle sublime de tous les talens réunis à toutes les vertus ! C'est
alors que le hardi poète que vous citiez tout-à l'heure, pourrait lui
répéter avec bient plus déraison :
          Que ton visage est triste et ton front amaigri ! (1)
   Oh! quel immense dégoût, quelle incommensurable tristesse
lui monteraient au cœur en présence de ces harpies , qu'on dirait
avoir pris h tâche de ne laisser dans les jardins de l'intelligence,
aucune fleur vierge et pure! Lui qui attribuait à la beauté une mis-
sion mystérieuse et divine ! Ecoutez-le , messieurs, écoutez-le ,
nous révélant lui-même le secret de ses inspirations :
   « Il me fut accordé en naissant, comme un gage assuré de ma
vocation , cet amour du Beau q u i , dans deux arts à la fois , et me
guide et m'éclaire. Mais, croyez-moi : jamais je ne contemplai la
beauté que pour agrandir ma p e n s é e , avant de saisir la palette ou
le ciseau » (2)
  Et comme il parle à la tourbe qui ne comprend de beauté que
celle dont jouissent les s e n s ; laissons, ajoute-t-il, les esprits lé-

  (1) Barbier; Ilpianto.
  (2) Poésies de Michel-Ange , p. 153.