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78 pour le bien et ennemie du mal ici je m'aperçois que j'ai pris la plume pour écrire un feuilleton, et que des réflexions presque étrangères m'ont entraîné loin de mon sujet. .ï'ai dit en commençant que nous n'étions pas tout-à -fait abandonnés des artistes; j'aurais dû ajouter que nous ne les abandonnons pas non plus, car deux fois la foule s'est pressée aux concerts de MM. Artôt et Lhuillier. M. Artôt est un jeune violoniste qui s'est fait vivement applaudir, car on a re- connu que son talent pouvait grandir, et qu'à la perfection du chaut il lui était facile d'ajouter celle du trait ; M. Artôt a joué deux ou trois airs de sa façon d'une manière piquante et originale ; je recommande aux amateurs celui ES u MAJEUR , comme une œuvre qui résume tout ee qu'il y a chez notre ai'tiste de délicatesse, de grâce et de coquetterie. Quant à M. Lhuillier , il était connu depuis longtemps par une foule de jolies et gracieuses romances ; mais par exemple, ce que nous ne connaissions pas encore dans les concerts c'étaient LES CHARGES PARLÉES, que cet artiste nous a dites. Je lui ai conseillé quelque part de les laisser à Odry et à Vcrnet qui en ont seuls le secret ; je crois que j'ai bien fait ; d'ailleurs , ce qui nous aurait amusé après une gaie réunion de gais convives ou après un quadrille de Muzard dans un salon ar- tiste , nous a paru tout-à -fait étrange dans un concert. Je crois en un mot qu'il faut savoir choisir son théâtre, et c'est ce que n'a pas fait M. Lhuillier. Avez-vous jamais entendu parler de Mad. Grandolfi? non ! eh bien , ni moi non plus; seulement, un soir, j'ai vu une grande et belle femme, ma foi! laquelle grande etbellefemme avait préalablement fait vendre son portrait chez les marchands de musique de notre ville, j'ai vu, dis-je, chanter cette grande et belle femme, puis je l'ai vue, accueillie par d'outrageans bravos, se dépiter , chanter plus mal en- core , employer à tort et à travers une voix qui a pu être belle, puis enfin la foule (je dis la foule, c'est une honnêteté) s'écouler insensiblement. Le lendemain, on se demandait : eh bien ! que pensez-vous de Mad. Grandolfi? moi? rien.... A nous deux, Haumann , à nous deux mon violoniste chéri, mon artiste de prédilection, à nous deux , chanteur sublime , laissez-moi vous jeter ici mon juste tribut de louanges. Oh ! dites-nous par quel moyen vous maîtrisez avec tant de puissance la foule attentive ? dites-nous quel art magique vous possédez pour ainsi nous émouvoir? pour tantôt nous arracher des larmes , tantôt nous faire tressaillir de joie , d'amour , de crainte, cl toujours d'admiration ? Je voudrais vous entendre toujours, Haumann; car j'aime la mélancolie et la suavité de vos accords, j'aime la passion de votre chant, j'aime votre ame qui se révèle partout dans votre exécution, dans les traits les plus difficiles comme dans les plus simples ; j'aime aussi jusqu'à votre sourire triste et rêveur quand vous chantez de mélancoliques mélodies , sardonique et railleur quand vous vous riez des plus grandes difficultés de l'art ; car mon sourire à moi devient comme le vôtre sardonique et railleur.