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AUGUSTE BARBIER 175 Ils ne se demandaient pas sans doute, comme quelque puriste a pu le faire, si c'était le poète ou le lion qui était « plein de colère », et s'il est bien possible de dire en français « qu'on inonde d'une croupe géante le velours d'un trône». Ils applaudissaient à lapensée, à l'effet de ces vers à la coupe sonore, assez saisissants pour qu'on oublie, surtout à une première lecture, de constater les imper- fections de détail, et ils répétaient les "plaintes du poète sur la perfidie avec laquelle de plats adulateurs avaient fait du lion vainqueur un lion captif. Mais lorsque bien repu de sang et de louange, Jaloux de secouer les restes de sa fange, Le monstre à son réveil voulut faire le beau, Quand ouvrant son œil jaune et remuant sa peau, Le crin dur, il voulut, comme l'antique athlète, Sur son col musculeux dresser sa large tête, Et les barbes au vent,'le front écbevelé, Régner en souverain... il était muselé *. Les excès de quatre-vingt-treize ne pouvaient non plus échapper à cette manie de glorification. Nous sommes, là aussi, en pleine légende. Si la génération moderne mérite moins de respect que de pitié, c'est parce qu'elle est inférieure à la race des premiers révo- lutionnaires. L'aspect de la liberté, sortie des décombres de la Bastille, a suffi pour tenir cinq ans en haleine (l'un des ïambes emploie une métaphore bien moins acceptable, le peuple viril et fier qui fit la grande Révolution-: Oh ! nous n'avons plus rien de ton antique flamme, Plus de force au poignet, plus de vigueur dans l'âme, Plus d'ardente amitié pour les peuples vaincus ; Et quand parfois au cœur il nous vient une haine, Nous devenons poussifs et nous n'avons d'haleine Que pour trois jours au plus 2 . Et cependant l'émeute qui éleva pendant la Révolution tant de journées au rang des dates les plus fatales ou les plus terribles de * La Curée, ïambes, 11, § 4. 2 Quatre-vingt-treize, Iamb "S, IV.