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174                    LA REVUE LYONNAISE
en quelque sorte à grands renforts d'images matérielles, on dirait
aujourd'hui d'images réalistes, fait déchoir la déesse au rang de
ces viragos qui ont oublié toute pudeur. La peinture ne fait songer
ni à Phryné, ni à Laïs ; tout ce qui rappelle le vice élégant est
proscrit comme aristocratique. Il faut à cette fille de faubourg, à
cette servante de barrière, des amants choisis « dans la populace ».
C'est une tricoteuse de la grande Révolution.

                      et qui veut qu'où l'embrasse
              Avec des bras rouges de sang.


   L'amant prédestiné d'une telle mégère ne doit être qu'un sep-
tembriseur. L'image n'évoque point devant nos yeux les « com-
battants héroïques des trois glorieuses journées », mais les
bouchers du massacre de l'Abbaye.
   Barbier a-t-il donc voulu glorifier les égorgeurs ou les dignes
compagnes qui profitèrent avec eux du salaire gagné « en travail-
lant pour le peuple » ? Une telle imputation l'eût révolté. Il
subissait, comme on subit une influence épidémique, la contagion
de cette rhétorique révolutionnaire que sa verve juvénile élevait
au niveau d'une déclamation éloquente. C'est en vain qu'on cher-
cherait dans les ïambes une doctrine ou une profession de foi.
Cette poésie, en apparence si ferme, subit complaisamment tous
les vents d'indignation qui passent. Si le révolutionnaire enthou-
siaste pouvait lire en frémissant de joie la description du peuple
 vainqueur et de sa déesse, plus d'un royaliste dut applaudir aux
 passages de la Curée, qui stigmatisaient les ambitions odieuses de
 ceux qui réclamaient à grand bruit les dépouilles des vaincus. Les
 républicains, déçus dans leurs espérances, tous ceux qui prenaient
 les trois journées pour le point de départ d'une nouvelle ère de
révolutions, saluaient avec le poète le peuple comparé au lion.

            J'ai vu, pendant trois jours, j'ai vu plein de colère
            Bondir et rebondir le lion populaire
            Sur le pavé sonnant de la grande cité...
            ...Haletant, je l'ai vu, de sa croupe géante,
            Inondant le velours du trône culbuté
            Y vautrer tout du long sa fauve majesté.