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AUGUSTE BARBIER 173 auréole de la légende. Les optimistes répètent qu'après tout il était beau de vivre au temps où la Convention improvisait quatorze armées et terrassait l'Europe. Les idées les plus contradictoires, les illusions les plus généreuses et les rêves les plus insensés hantent les mêmes cerveaux. On déplore les excès révolutionnaires et on exalte la révolution. Oh appréhende l'émeute qui gronde autour du Luxembourg pendant le procès des ministres, et on acclame le peuple héroïque qui a sauvé la liberté, et l'on date naïvement des trois journées de juillet le début d'une ère nouvelle. Si Paris four- millait, en août 1830, d'ambitieux qui brûlaient le lendemain ce qu'ils avaient adoré la veille, que de gens, sans s'en rendre compte, renversaient d'une main l'idole qu'ils encensaient de l'autre. C'est cette contradiction qui éclate à chaque ligne des ïambes de Barbier. L'odeur de la poudre a évidemment grisé le jeune poète, et il glorifie l'insurrection. Son cœur honnête se soulève de dégoût en présence du désordre et de l'émeute, et il flétrit ce qu'il exaltait il n'y a qu'un moment. Singulière absence de doctrine qui témoigne du peu d'équilibre des esprits en cette période de fièvre. Si les meilleurs en étaient là , que faut-il donc penser de l'ivresse mal- saine qui agitait les esprits vulgaires ? Barbier n'a été un moment si populaire que parce qu'il a éloquemment personnifié ces prodi- gieuses incohérences. Qu'est-ce, en effet, que la liberté que chante le jeune poète, celle qu'il salue comme on pourrait encenser une déesse païenne ? C'est cette femme enfin, qui toujours belle et nue, Avec l'écharpe aux trois couleurs, Dans nos murs mitraillés tout d'un coup revenue, Vient de sécher nos yeux en pleurs ; De remettre en trois jours une haute couronne Aux mains des Français soulevés, D'écraser une armée et de broyer un trône Avec quelques tas dépavés *. Cette liberté n'est autre que la déesse de l'insurrection. Mais n'est-elle que cela? Une odieuse métaphore, que les licences de la poésie permettaient d'indiquer, mais non de développer, d'étaler 1 La Curée, ïambes, I.