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Causerie. 7 juin 1898.

Le grand événement vient de s'accomplir, suivant les rites accoutumés, avec la solennité traditionnelle et sous les augustes regards du chef de l'Etat : le Grand- Prix de Paris est couru !

L'amour-propre des Parisiens n'a pas constaté sans un légitime orgueil, que l'élevage français compte une victoire nouvelle contre la perfide Albion. Victoire d'autant plus précieuse, que le champion d'outre-Manche s'appelle Disraëli, tout comme l'illustre fondateur de l'Empire britannique, tandis que son vainqueur est dénommé le Roi Soleil, à l'instar deLouis XIV. De sorte que la rencontre de ces deux grands noms offrait un intérêt à la fois historique et national.

L'infortuné coursier anglais n'a figuré nulle part et le noble quadrupède qui portait l'espoir de la ponte française est arrivé au poteau, comme disent les sportsmen, « dans un fauteuil », avec une facilite' qui a dû surprendre mélancoliquement M. Deschanel.

Pourvu que le Roi Soleil continue à régner, non seulement sur le turf, mais aussi sur toutes choses, au point de vue atmosphérique! Nous en aurions bien besoin après les cataractes du joli mois de mai, qui, espérons-le, ne reviendra pas, contrairement à la chanson.

Les journaux annoncent que l'affluence a été plus nombreuse que jamais sur l'hippodrome de Longchamp, pour assister au tournoi dont la jolie somme de deux cent cinquante mille francs est l'enviable enjeu. Et cette faveur croissante est bien une des plus curieuses manifestations delà tendance qui pousse l'homme à se précipiter passionnément partout où il sait par avance devoir rencontrer la foule.

Car, je le confesse, le Grand-Prix m'a toujours semblé une atroce corvée. Il n'y a pas, en effet, de plus rude fête. On y est bousculé, étouffé, écrasé. Pour voir la course, il convient d'être un privilégié des tribunes officielles, autrement on n'admire guère que des chapeaux et des ombrelles et il faut se résigner à lire le compte rendu le lendemain dans les journaux. Enfin, revenir du bois de Boulogne ce jour-là est un des plus difficiles et pénibles problèmes de la locomotion contemporaine. Comment passe-t-on si allègrement par-dessus tous ces inconvénients ? Il faut donc qu'on éprouve une joie bien profonde à donner, en l'honneur des chevaux du Grand-Prix, son argent aux baraques du pari mutuel, qui vous le rendent trop rarement, ou bien aux messieurs en complet jaune connus sous le nom de bookmakers qui, eux, ne le restituent presque jamais !

Les journées ordinaires à Longchamp ou à Auteuil, sont autrement agréables. On y est confortablement et on peut suivre sans fatigue les péripéties des courses parmi le paysage charmant qui les encadre. Mais voilà ! Ce n'est pas le Grand- Prix... 0 prestige des mots, des habitudes et du snobisme !

Les vrais gagnants et les heureux que fait le Grand-Prix, ce sont les commerçants parisiens. La grande semaine est l'occasion d'une folle sarabande d'écus dans cette vaste foire aux fanfreluches et aux plaisirs qui forme pour les étrangers le grand attrait de Paris.

On a remarqué avec attention cette année que la colonie américaine a été au « great event » — grand événement pour ceux qui ne parlent pas le langage des jockeys — avec le même étalage d'élégances que d'ordinaire. C'est donc une vaine menace, le boycottage dont le négoce de Paris, et même de Lyon, était averti par les chauvins de New-York, à propos de nos sympathies espagnoles. Comme s'il convenait de nicher le patriotisme dans les chapeaux et les jupons ! Les Américaines de Paris l'ont bien compris. Et d'ailleurs, le bon sens mis à part, elles ont trop souci de leur beauté et de leurs plaisirs pour se venger sur elles-mêmes des accès de «jingoïsme» auxquels s'abandonnent quelques canards américains.

Entre nous, ils sont actuellement bien comiques les confrères de là-bas. On y lit des choses peu ordinaires : le régiment dirigé par Buffalo-Bill ; le bataillon d'amazones, avec la liste des soldates et les performances de chacune, âge, beauté, cheveux, tour de taille ; et enfin la proposition d'un directeur de cirque qui offre à sa patrie vingt-cinq éléphants, pour la guerre de Cuba où ils porteraient des canons...

Qui aurait cru que Chicago fût aussi près de Tarascon !

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