Causerie
Le Salon lyonnais est ouvert et cette solennité annuelle a été fêtée par les autorités et le public suivant les traditions établies. On a échangé, comme il convient, force congratulations. Cependant les mille et quelques numéros que contient l'Exposition ne méritent peut-être pas que les Amis des arts s'en félicitent outre mesure. Il y a certes, dans le pavillon de Bellecour, un nombre respectable de mètres carrés recouverts de peinture à l'huile ou à l'eau. Mais combien d'oeuvres ? Ne précisons pas. Le bilan serait trop sévère...
Si l'art local est toujours dans le même marasme, on n'en saurait dire autant de la camaraderie. Jamais exposition ne fut plus clémente aux excès de ce sentiment si humain, sur lequel M. Scribe fit une comédie excellente, bien qu'il ait omis d'y mettre en scène les peintres. Les membres du jury de notre Salon poussent vraiment un peu trop loin le bongarçonnisme, surtout pour la peinture jeunefillesque...
Certes je comprends de reste une somme d'indulgence toute naturelle pour les jeunes filles. Elles sont aimables, jolies, et elles prennent des leçons. Mais ce n'est pas une raison pour que messieurs les professeurs accordent à ces demoiselles une bonne moitié des panneaux de notre Salon.
Ceci dit, faisons une rapide revue de ces planches couvertes de toiles. Les Parisiens sont peu représentés. Roybet , nous a envoyé une tête d' Arquebusier Louis XIII d'une pâte éclatante et ferme, comme sait le faire ce virtuose de la palette. Les Otages , de Jean-Paul Laurens , appartiennent à la série mérovingienne du maître peintre d'histoire. Le sujet est un peu mince pour les dimensions du tableau. Mais la qualité en est solide, et le caractère marqué eu traits définitifs. M. Benjamin Constant , qui a conquis une si belle place dans le portrait, a chez nous une étude de son Lord Dufferin , qui a figuré au Salon de 1895. C'est un morceau du plus haut goût. Faut-il citer Frappa ? Son Conte fol est bizarre et fâcheux, mais sa Tête de jeune fille est léchée avec grâce.
M. Jules-Abel Faivre , le triomphateur de l'an passé, est resté lui-même dans son Portrait de Mlle M. B. H. et dans le Bol de lait , où son art précieux, fini et quintessencié s'est affirmé délicatement. Le Soir , de M. Henri Bouvet , est d'un peintre qui sent profondément la poésie des nuits, et sa Houle , miroitante de soleil, vagues argentées qui déferlent en bouillonnant, témoigne d'un effort louable vers la vérité de la nature. Il faut placer au tout premier rang le paysage méridional de Gagliardini , la Vallée du Buech , éclatante de lumière, et d'une harmonie parfaite dans la gamme chaude des valeurs si habilement observées. Je vois encore à citer les marines de M. Ravanne , les Matelots de M. Couturier , qui peint les marins aussi sincèrement que Yann Nibor les chante, et de fins paysages de Japy .
Voilà pour les étrangers. Quant aux oeuvres locales, la revue en sera non moins rapide, encore qu'elles pullulent avec férocité. L'effort d'art de M. Balouzet est considérable dans son vaste Soir d'automne à Morestel , déjà médaillé au Salon de Paris. L'impression est puissante dans la mélancolie du soir qui monte, parmi la paix des choses endormies.
Voilà une page que la ville de Lyon ou le département devrait acquérir. Sa place est toute marquée au musée ou dans un monument public. Comme classement, il faudrait mettre aussitôt après, bien que dans un genre tout différent, le Caquetage de Bonnardel ; ce sont deux vieilles bonnes femmes, dans un intérieur de village : le poêle ronfle, le chat ronronne, et les interlocutrices se racontent les potins de l'endroit en sirotant un fin café. C'est tout à fait bien observé et heureusement rendu, malgré une facture un peu sèche. Le Mont Saint-Michel de Noirot se dresse avec le plus vigoureux relief audessus d'une mer houleuse. Mais combien son Coin de Villerest (Loire) est hardi, brillant et plein de lumière ! M. Lambert, lui aussi, ne craint ni l'éclat du jour ni les chauds rayons. Il en triomphe d'un pinceau fougueux, qui est d'un coloriste doué. N'oublions pas les savoureuses natures mortes de Cocquerel ; les fleurs si jolies trop peut-être de Perrachon ; les fantaisies papillotantes de David Girin ; un curieux portrait, de Luigini , et une étude de nuque et de dos, Coquetterie intime , de Mme Beysson, qui est une aimable chose ; enfin des fleurs d' Euler et de Yung, qui ont tous les deux le sens du décor...
La sculpture ne demande pas une longue liste. La Lionne de Devaux est d'une fière allure et d'un faire qui rappelle Barye . De tout premier ordre son Buste de Saint-Cyr-Girier . Voilà un envoi qui place son auteur parmi les vrais sculpteurs. Le Buste de M. Poizat , par Aubert , est aussi une oeuvre d'art.
Maintenant, si vous êtes d'humeur noire, contemplez, pour vous dérider, le groupe de la Femme et de la Vache . Les vers et le plâtre sont d'une supérieure ironie. Et puis? Et puis : un point, c'est tout.