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Causerie

Lyon, 16 février.

La science est en veine de découvertes depuis quelques temps. Les dernières qu'on annonce sont tout à fait extraordinaires. Il ne reste plus qu'à savoir si elles sont justifiées, s'il ne s'agit pas de savants qui s'emballent sur des rêves dont ils font d'illusoires réalités. Quoi de plus surprenant que les études du docteur Schenck, de Vienne, qui, arrachant à l'hérédité, — ce sphinx jusque-là si mystérieux, — le mot d'une de ses énigmes, affirme la possibilité de régler presque à volonté la natalité des enfants masculins ou féminins ?

A vrai dire, le problème ne semble pas encore résolu d'une façon pratique. Il serait peut-être téméraire de croire que M. Schenck a déterminé, dès à présent, un procédé qui permet aux époux d'avoir au choix un garçon ou une fille. Interviewé sur ce point, le savant viennois a répondu qu' il ne voulait pas encore livrer au public la solution de ce problème passionnant, mais qu'il en avait tous les éléments et que la question de principe lui semblait résolue.

Dans peu de temps tout sera donc divulgué.

Quelle révolution bienfaisante dans les ménages ! On n'aura plus de ces angoisses cruelles qui tourmentent les papas et les mamans dans l'attente de l'enfant à naître, pour savoir s'il pourra être de la garde nationale ou bien s'il appartiendra au sexe auquel il doit sa mère. Vous souvenez-vous de cette pièce de Meilhac et Halévy où l'on parle d'un pasteur affligé de onze filles ? Des séries si obstinées ne seront plus à craindre désormais, grâce à M. Schenck. Vous voulez un garçon, pour perpétuer votre nom, ou pour n'avoir pas à doter une fille de plus ? M. Schenck. vous indiquera bientôt la façon de vous y prendre. Si vous désirez au contraire procréer avec certitude un échantillon du sexe séducteur, le manuel qu'on prépare à Vienne vous en donnera le moyen infaillible. Quel plaisir dans les familles, comme on chante dans Faust !

Une autre découverte également merveilleuse est celle que les journaux américains prêtent au fils d' Edison . Ce jeune homme serait vraiment un digne «fils à papa », s'il a trouvé, comme on le prétend, la photographie de la pensée. Vous m'entendez bien ? Photographier cette chose invisible, fugitive, immatérielle, l'extraire du plus profond du cerveau, lui donner une image perceptible et qui dure !

M. A. Edison travaille depuis l'âge de douze ans aux côtés de celui qu'on n'appelle plus en Amérique que « le sorcier de la maison Blanche ». Jour et nuit, cet extraordinaire adolescent s'est entraîné, sous la direction paternelle, dans la lutte scientifique pour dérober à la nature le secret de ses mystères. Il sait déjà tout ce qu'un homme peut savoir, et son génie aurait mis à profit tout ce bagage scientifique afin d'aboutir à la découverte de la photographie de la pensée.

Les journaux américains reproduisent des croquis de l'appareil. Coiffé d'une sorte de couronne en disques de cuivre et fils d'acier, communiquant avec un appareil à rayons X, assis devant un objectif de forme particulière, le sujet est représenté au cours de l'opération. Des plaques photographiques ont déjà été obtenues qui correspondent aux formes matérialisées des idées de ce sujet, choisi comme ayant une volonté puissante et une claire conception de pensée.

Quel dommage que cette découverte, peut-être un peu trop américaine, en soit encore à l'état embryonnaire ! Ce serait si commode dans la vie, ne fût-ce que pour savoir au juste la pensée de sa femme !

La justice aussi y trouverait son compte. Accusés et témoins n'auraient plus à dissimuler ou à refuser de parler. M. Bertillon , bon gré mal gré, ne pourrait pas dérober à l'admiration des contemporains le détail de ses fortifications graphologiques, ni M. Esterhazy garder pour sa conscience de hulan le mystère de la femme voilée. Et à Lyon, les médecins aliénistes auraient tôt fait de déposer leur rapport sur l'état mental du sympathique Vacher !

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