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    Causerie

    Lyon, 9 février.

    Dans Pamela, la pièce nouvelle de Sardou que prépare le Vaudeville, l'auteur, qui est comme on sait un merveilleux érudit sur les choses de la Révolution, a mis en scène le petit Louis XVII. M. Sardou dévoilera-t-il le mystère qui plane sur la mort de l'enfant royal ? En résultera-1—il, comme l'ont insinué certaines interviews, des arguments nouveaux en faveur des descendants des Naundorff ? Nous le saurons bientôt. Mais il se trouve que, par une coïncidence assez curieuse, les Naundorff font justement parler d'eux à l'heure présente.

    A la vérité, ils s'y prennent d'une façon assez inattendue. Las, apparemment, de réclamer auprès des tribunaux leur qualité d'héritiers de Louis XVII, évadé du Temple, et les biens et les titres attachés à cette qualité, les prétendants déçus viennent de prendre une résolution pratique qui, sans doute, a dû coûter singulièrement à leur orgueil monarchique. Ces derniers rejetons légitimes de la plus vieille des branches se font marchands de vins !

    Et c'est merveille de voir avec quelle adresse ils savent associer les soins de leur négoce avec le maintien de leurs prétentions à la couronne! Car la maison Naundorff a fait distribuer tout récemment une revue intitulée la Fleur de lys, avec des prix-courants, et un prospectus détaillé offrant d'excellents vins rouges à 75 francs la barrique rendue franco, et donnant en même temps un historique complet de la « Survivance du Roi Martyr », les portraits de ses descendants et enfin la profession de foi suivante dont le caractère vinicole et légitimiste constitue une réclame vraiment royale.

    Dégustez, de grâce, ce délicieux échantillon :

    M.

    Il y a six mois, nous avions, envoyé à nos intimes seulement, une circulaire toute confidentielle, dont vous trouverez le texte ci-après... Plusieurs feuilles en ont pris occasion de dire que notre entrée dans la carrière du commerce indiquait, en notre pensée, une renonciation à nos droits dynastiques. Voici notre réponse :

    Tout d'abord, nous venons aujourd'hui vous confirmer nos offres et vous dire : Eh bien ! oui, les petits-fils de l'infortuné Louis XVII, les descendants du Roi-Martyr, de Louis XIV, d'Henri IV et de saint Louis se sont mis dans le négoce et ne songent pas à en rougir.

    Gagner sa vie, nous paraît infiniment plus noble que tendre la main. C'est l'avis de toutes les âmes fières, et c'est surtout le nôtre. D'ailleurs, nous n'avons pas la responsabilité de cette situation.

    Nous aussi, en cédant aux nécessités du présent, nous réservons l'avenir. Nous sommes commerçants, mais nous entendons bien rester Fils de France.

    En nous adressant non pas vos aumônes, M , mais vos commandes, vous viendrez efficacement et dignement au secours de la plus auguste des infortunes.

    Auguste de BOURBON. Charles de BOURBON.

    Comment donc. Sire !

    Il faudrait n'avoir ni coeur ni noblesse d'esprit pour n'être pas ému par ce touchant appel aux porte-monnaie et aux convictions dynastiques ! Ne sera-ce pas, pour le consommateur, une satisfaction profonde de pouvoir se dire, en buvant le bon petit ordinaire de la maison de Bourbon, qu'il collabore du même coup à la restauration de son estomac et à celle des héritiers de ses rois ? Où trouver un commerce plus digne d'encouragement? Comment rester insensible à des offres si augustes ?

    Voulez-vous, maintenant, un extrait de la circulaire confidentielle à laquelle fait allusion le message royal ci-dessus reproduit ? Le morceau en vaut la peine :

    SURVIVANCE DU ROI-MARTYR M.

    Lorsque la reine Marie-Antoinette, notre aïeule, reprisait, au Temple, les bas du dauphin, notre infortuné grand'père, elle ne perdait rien de son auguste majesté aux yeux de personne au monde. ( suivent d'autres exemples, et notamment celui du Christ, fils du Charpentier ).

    Donc, nous voulons gagner notre vie... Nous ne sommes plus des enfants, nous voici des hommes, et nous ne pouvons pas, nous ne voulons pas vivre des sacrifices de nos amis.

    Seulement, que faire ? Hélas ! notre nom nous ferme toutes les carrières. Tant que nous n'aurons pas eu gain de cause devant la Cour d'appel de Paris, nous ne serons pas légalement Français, nous, les enfants de France ! Nous ne pouvons pas même être soldats, nous les héritiers de tant de vaillants chefs de guerre : Philippe-Auguste, saint Louis, François Ier, Henri IV ! Il faudrait pour cela nous faire naturaliser ou servir dans la légion étrangère ; ce serait nous renier nous-mêmes : jamais !

    Une seule voie reste ouverte devant nous, une seule : c'est le commerce, et nous la prenons résolument.

    Nos voeux accompagnent les princes dans cette croisade commerciale. Comme les anciens gentilshommes verriers, ces nobles " bistros ", ces " chands d'vin" bourbonniens ne sauraient déchoir parce qu'ils se livrent à un négoce siéminemment national. Et puis il n'y a pas de sot métier. Il faut vivre en attendant le trône. Non, non, des Fils de France ne dégradent pas leur rang en vendant du vin de France, - pourvu qu'il ne soit ni fuchsiné ni plâtré, et la maison Auguste et Charles de Bourbon le garantit sur facture !

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