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Causerie

Paris, 12 janvier.

Le théâtre « rosse », comme on dit à Montmartre et au faubourg St-Germain, aurait-il décidément vécu ? On pouvait le croire déjà, après le succès inouï de Cyrano de Bergerac, triomphe dû surtout au renouveau des bons vieux sentiments comme l'héroïsme, l'amour et l'esprit chevaleresque depuis trop longtemps relégués au magasin d'accessoires. Et voici que Catherine, la nouvelle pièce de M. Lavedan jouée avec la plus heureuse fortune au Théâtre-Français, vient de charmer à son tour grâce au grand air d'honnêteté qui l'anime et par les dons du coeur dont sont parés ses personnages, le public pourtant si blasé des « premières » parisiennes.

A ce point de vue de l'évolution vers le théâtre sain, Catherine apparaît même plus significative que Cyrano. La comédie en vers de M. Rostand est d'une envolée si romantique, d'un éclat fantaisiste si brillant, qu'on ne saurait discerner clairement dans son succès la part prépondérante de la probité de la pensée ou du mirage lyrique. Tandis que la douce et bonne Catherine est une personne de notre temps, toute simple, toute unie, parlant en prose, aimable bourgeoise qui séduit surtout parce que nous retrouvons en elle les vertus des braves gens.

C'est une surprise singulière et exquise que M. Lavedan a faite là au public. Son talent incisif, satirique, « rosse » lui aussi à ses heures, semblait plutôt se rattacher à l'école ultra-moderne des Donnay, des Abel Hermant et des Gyp. Son Nouveau Jeu, en répétitions sur une ;uitre scène est, en effet, d'un cru analogue à celui de la Douloureuse ou des Transatlantiques, à en juger par les scènes déjà parues dans la Vie parisienne. Or,Catherine est tout à fait vieux jeu dans le meilleur sens du mot. Elle fait penser au Marquis de Villemer, au Gendre de M. Poirier, et même on pourrait ajouter, à ces ancêtres presque récents qui s'appellent Sand et Augier, M. Scribe en personne, si honni par les auteurs dans le train, et jusqu'au bon Sedaine.

Une maîtresse de piano qui se fait épouser par un duc, et dont le mariage, malgré quelques traverses fâcheuses au début, se consolide en heureuse idylle à la chute du rideau, telle est la berquinade que M. Lavedan vient de faire applaudir, tout comme si nous en étions encore aux âges lointains et pompiers de 1830. Si c'est un paradoxe, il est de haut goût et admirablement conduit, puisque le public s'y est laissé prendre. Mais il est plus vraisemblable de croire que le nouveau disciple d'Augier a voulu sérieusement tenter la réhabilitation de l'honnêteté sur la scène française. Et cela réconforte, par ces temps boueux, de constater un grand succès qui ne doit rien à cet étalage d'horribles anatomies morales et de sadisme élégant dont vit depuis trop d'années le théâtre contemporain.

La Comédie-Française nous a rendu un autre service important, bien que d'un ordre moins relevé, le soir de la première de Catherine : Toutes les femmes qui assistaient à la représentation, ont été courtoisement invitées, par ordre administratif, à déposer leurs chapeaux au vestiaire.

Des planchettes avaient été disposées tout exprès pour recevoir les couvrechefs féminins, de manière que leurs propriétaires n'aient aucune inquiétude sur la conservation de ces objets d'art coûteux et délicats. Toutes s'y sont prêtées de bonne grâce. De sorte qu'on a pu contempler, sans gêne et sans torticolis, les gestes nerveux de Mlle Brandès, la verte jeunesse dé Mlle Lara, la stature copieuse de Mme Pierson et les cravates ineffables de M. Lebargy.

Bienfaisante réforme s'il en fut ! Car, si accomplis que soient les chefs-d'oeuvre empanachés ou fleuris des bonnes faiseuses, ce n'est pas exclusivement pour les contempler que le monsieur de l'orchestre a versé dix francs au guichet du théâtre... Ajoutons qu'au point de vue de l'aspect de la salle, l'absence de chapeaux a été vivement goûtée. Blondes ou brunes, folles ou régulières, les chevelures de toutes ces dames furent un régal pour les lorgnettes pendant les entr'actes. Et au moins, une fois le rideau levé, on voyait la scène...

A quand la même innovation dans les théâtres de Lyon ?

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