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    Causerie

    La science fait banqueroute, a dit M. Brunetière, pontifiant, solennel et réactionnaire comme il convient au successeur de Buloz. M. Brunetière exagère. La science ne fait pas banqueroute, mais simplement fausse route — quelquefois.

    Et ceci s'applique surtout à la médecine, la plus changeante et la plus contradictoire des sciences. C'est à elle que nous devons le remède qui guérissait hier et dont il faut s'empresser d'user car bientôt il ne guérira plus, et aussi le régime éphémère qui recommande aujourd'hui une alimentation qu'elle proscrira demain.

    Nous l'avons vu pour le vin par exemple. Il y a quelques années, la médecine n'hésitait pas à déclarer que le sang de la vigne était le vrai régénérateur du sang humain. Les médecins étaient d'accord avec les chansonniers, et aussi avec les vrais Français de France, pour chanter les louanges de ce jus divin

    Que les hommes ont nommé modestement du vin.

    C'était le lait des jeunes gens et des vieillards, le tonique admirable et chaleureux ; le bordeaux, le bourgogne et le beaujolais n'étaient pas seulement la joie, l'ivresse et la saveur, mais aussi l'hygiène et la santé.

    Ils ne sont plus aujourd'hui que l'abomination de la désolation. L'Académie de médecine les dénonce comme pères de tous les maux. La seule nomenclature des maladies dont la Faculté les rend responsables fait frémir. Après des siècles de faveur, ils sont excommuniés ces bons vins qui donnaient pourtant à nos pères joyeuse, verte et longue vie...

    Voilà qui n'est pas pour diminuer la mélancolie grandissante de notre fin de siècle ! Et cette variation est encore moins de nature à nous faire ajouter foi aux médecins de notre temps, qui méritent peut-être bien toutes les ironies comiques dont Molière accabla les Purgon et les Diafoirus du règne de Louis XIV.

    Mais ce n'est pas tout. En voici bien d'une autre. La viande saignante, le bifteck tant recommandé aux anémiques et aux convalescents, tant prôné par les praticiens grands ou petits devient l'ennemi à son tour, après avoir figuré en belle place parmi les ordonnances les plus scientifiquement rédigées.

    Tremblez, vous qui aimez les viandes dont s'échappent des gouttelettes rouges comme d'une chair encore chaude et palpitante ! Hier vous étiez dans la vérité médicale. On vous avertit présentement que vous vous exposez aux atteintes des plus homicides microbes.

    Le docteur Fiore, de l'Institut de Palerme, le docteur Vallin, de l'Institut de France, ont fait et publié des expériences dont le résultat fait dresser les cheveux sur la tête.

    Dans la viande encore saignante les microbes pullulent ; une grillade, même prolongée, ne suffit pas à tuer ces ennemis si tenaces ; seule, l'ébullition complète vous assure une digestion tranquille où les microbes ne s'introduisent pas, — par l'excellente raison que tous sont morts.

    Mais alors ce serait la fin de la cuisine ? Hélas ! oui, puisque de toutes les combinaisons de la cuisson, — gril, casserole, étouffée, — il ne reste plus que l'insipide viande bouillie si vous voulez être en règle avec les prescriptions de l'Académie.

    Morose perspective ! Deuil irréparable pour les palais et les estomacs! Embarras insoluble pour les ménagères et les cordons bleus dont le talent se voit ainsi cruellement limité!

    A moins cependant que nous fassions un pied-de-nez à la médecine. Nos anciens buvaient et mangeaient allègrement, copieusement toutes ces choses qu'on nous interdit aujourd'hui après les avoir recommandées la veille. S'en portaient-ils plus mal? Si nous voulions en croire la médecine, il faudrait supprimer le vin, le rôti... et même le dessert— puisqu'il s'est trouvé d'autres savants austères et fâcheux pour dénoncer dans le baiser — oui madame ! — un danger redoutable de contagions variées.

    Alors que resterait-il à la pauvre humanité ? La lecture des comptes rendus de l'Académie et l'adoration du Codex ? Ce n'est pas assez. Vive la vie, morbleu, et foin des pédants de l'hygiène! Au fond, l'amie d'Ugène avait bien raison : Ous' qu'y a de l'hygiène y a pas de plaisir, disait-elle, furieuse de languir. Les générations passées nous valaient bien et cependant les Ugènes y étaient inconnus.

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