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Causerie

Le docteur Bernheim, professeur de la Faculté de Nancy, qui soutint contre Charcot une lutte ouverte au sujet des conditions de l'hypnotisme, vient de faire avec sérénité, cette déclaration sensationnelle : Il n'y a pas d'hypnotisme !

Comment, il n'y a pas d'hypnotisme ?

Mais alors, que deviennent tous les travaux, toutes les expériences dont on nous émerveille depuis des années ?

Un instant. Selon l'éminent professeur de la Faculté de Nancy, qui met en ébullition le monde des hypnotisants, le sommeil hypnotique ne serait pas un état particulier, anormal. Tous les phénomènes qui en résultent pourraient être obtenus chez un grand nombre de sujets à l'état de veille absolue.

D'après M. Bernheim, le sommeil hypnotique ne serait en un mot, qu'une illusion, le sujet ayant manifesté, néanmoins, les phénomènes de suggestion, de catalepsie, de contracture, et tous les autres dont les ouvrages spéciaux nous ont si abondamment entretenus.

L'hypnotisme serait donc quelque chose comme la mise en jeu d'une propriété normale plus ou moins développée dans les cerveaux humains. Et voilà le champ ouvert à de nouvelles, à d'interminables controverses !

Mais, en-définitive, pour toute personne qui n'a point le souci de plonger jusqu'au fond de ces mystérieux abîmes, l'essentiel reste acquis. Que les phénomènes dits hypnotiques soient obtenus à l'état de sommeil ou à l'état de veille, la vieille doctrine du libre-arbitre n'en est pas moins maltraitée. Il devient même de plus en plus dilticile de distinguer les limites de la volonté et de la conscience humaines.

Avec toutes ces questions de suggestion et d'hérédité physiologique et psychologique, que devient la responsabilité individuelle ?...

De plus en plus, la science nous démontre que l'homme ne dispose pas entièrement de lui-même. Il est à la merci de mille incidents extérieurs qui lui font dévier sa pensée, sa volonté, sa conscience, quand ils ne les suppriment pas tout à fait, comme l'alcool ou la suggestion.

Si l'oxygène ou le sang manquent aux cellules de notre cerveau, ne fut-ce qu'un instant, tout notre être moral se modifie. La perturbation la plus légère de notre santé détourne le cours de nos idées. Quelques gouttes d'eau-de-vie ou d'éther, dont les effluves arrivent à nos centres nerveux, suffisent à dénaturer notre raison, à paralyser ou tout au moins à fausser notre jugement.

Le café n'a-t-il point la propriété d'atténuer ou de dissiper la tristesse ?

Une dame, douée d'un égoïsme remarquable, apprend brusquement la mort de son frère. Elle en est bouleversée. Au fond, elle déplore ce malheur surtout pour le trouble dans lequel il la jette et, appelant sa cuisinière, entre deux gémissements, elle lui crie : Catherine ! Vite, vite, du café !... (Hist.)

Sans reprendre ici par le menu les questions du libre-arbitre et du déterminisme, il est permis de constater que dans une certaine, une large mesure, l'homme se meut sous l'action de faits indépendants et étrangers à sa personne.

Ainsi, on ne conteste plus guère l'influence si évidente de l'alcool dans la désorganisation des cerveaux et le développement des pensées sauvages que nous avons vu, depuis quelques années, se manifester, par tant de crimes déconcertants. Que devient en tout cela le pauvre libre-arbitre, abandonné à la merci du froid, de la chaleur, d'une boisson, d'un accès de fièvre ?

N'a-t-on pas assuré que, quand Charles IX se décida à ordonner les massacres de la Saint-Barthélémy, il n'était pas allé à la garde-robe depuis cinq jours entiers ?

Mesurez les conséquences historiques d'un bon purgatif que ce monstre couronne aurait avalé le 23 août 1572, la veille du jour où il devait faire exterminer les protestants !

Gondinet a imaginé dans le Homard un bien amusant exemple de férocité résultant d'une cause analogue. Son professeur constipé n'exterminait pas des huguenots, mais des candidats au baccalauréat qu'il criblait de boules noires avec une joie sauvage !

François Ier avait été double : avant et après l'abcès; comme Louis XIV devait être double aussi : avant et après cette désastreuse fistule qui eut pour résultat 1a révocation de l'Edit de Nantes.

Les protestants auraient bien du mérite à être royalistes, car ils n'ont pas eu de chance avec nos rois. En voilà deux qui leur ont fait payer bien cher la souffrance qu'ils éprouvaient sur leur chaise percée !

Soyons tolérants et modestes, pauvres humains, jouets du moindre souffle qui passe.

Point d'orgueil surtout...

Entre un homme de talent et le plus humble des marchands de salade, il n'y a point d'autre différence qu'un grain de phosphore dans le cerveau. Qui sait si le talent même, et le génie ne s'obtiendront pas un jour à volonté, au moyen de quelque drogue encore ignorée ou par un phénomène de suggestion ?

Nos savants de l'école de Charcot ont pris feu devant la déclaration de M. Bernheim et ils répandent les flammes de leur colère. On va discuter et expérimenter avec une ardeur nouvelle dans le but de confirmer et d'infirmer la nouvelle théorie de l'école de Nancy, qui repose surtout, ce nous semble, sur une question de mots. On peut ergoter indéfiniment sur les termes, établir des distinctions subtiles entre l'hypnose et le sommeil hypnotique proprement dit ; mais ce qui domine et continuera à dominer tout le débat, c'est la certitude absolue de la suggestibilité.

Un homme peut substituer à son gré sa volonté propre, à celle d'un autre homme dans le cerveau de celui-ci ; et cela demeure une des plus inquiétantes choses qu'il soit donné de concevoir.

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