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    Causerie

    Les annales criminelles de Lyon viennent de s'enrichir d'un nouveau Dumollard. Vacher, le tueur de bergers, rappelle en effet, et par les détails connus sur sa personne et par ses procédés d'assassin, le sinistre tueur de bonnes.

    Dumollard, lui aussi, était une brute farouche. Hideux à voir avec sa lèvre difforme, sa jambe pendante, son dos voûté et sa barbe inculte, « l'homme de la campagne » ne sortait guère que la nuit de sa tanière de Dagneux, pour se rendre à Lyon raccoler les malheureuses filles qu'il engageait comme domestiques de ferme et qu'il égorgeait, après s'en être fait suivre, au coin de quelque bois.

    Vacher nous apparaît presque pareil, et opérant de façon identique. Répugnant d'aspect comme Dumollard, animé des mêmes instincts féroces, ce chemineau, que Jean Richepin aurait quelque peine à poétiser, guettait parmi les champs isolés les jeunes pastours occupés à garder paisiblement leurs troupeaux. Assaillis brusquement, les pauvres enfants succombaient sans secours, leurs faibles cris n'étant entendus de personne, et le monstre accompagnait l'assassinat d'indicibles horreurs.

    Peut-être cependant, Dumollard semble-t-il d'une autre mentalité que Vacher. L'un et l'autre ont fait une dizaine de victimes (ne disait-on pas du premier : il doit avoir un cimetière quelque part !), mais Dumollard assassinait pour voler. La seule carrière qui parût possible à son cerveau primitif, analogue à celui de l'homme des cavernes, c'était le meurtre. Il tuait pour vivre, dépouillant ses victimes de leur pécule et de leurs hardes. Et, les fruits d'un premier crime une fois disparus, il passait à un second.

    Devant le juge d'instruction et en Cour d'assises, il se défendit pied à pied. Ce n'est pas moi qui ai tué, ce sont des hommes barbus. Et, au pied même de l'échafaud, il recommandait qu'on n'oubliât pas de réclamer à une voisine « 27 francs moins un sou » qu'elle lui devait.

    C'était donc l'assassin vulgaire, travaillant pour l'argent et niant ses crimes.

    Vacher, lui, est moins rudimentaire. Déclassé fangeux, ayant subi, après une jeunesse honnête, toute les déchéances, la vengeance et la haine contre l'humanité semblent ses principaux mobiles, accrus du besoin de satisfaire une honteuse bestialité. Il se flatte d'être un révolté et joue au justicier. Il a soif de réclame autant que de sang. Et la condition de ses aveux sans réticences a été que le juge en ferait part à tous les journaux. Vacher ne nie pas comme Dumollard : il se pare au contraire de ses forfaits.....

    Il est heureux, d'ailleurs, que le misérable ait eu cette forfanterie. De lamentables erreurs judiciaires s'étaient en effet greffées sur ses crimes. Dans la Côte d'Or, un brave homme fut arrêté pour l'assassinat d'Augustine Mortureux commis par Vacher. L'infortuné, bien que mis en liberté, n'en demeura pas moins écrasé par d'infamants soupçons. Le voilà enfin réhabilité. Dans l'Ardèche une erreur pareille avait aussi pesé sur un innocent.

    Ainsi, Vacher dépasse Dumollard comme criminel. D'autant plus que la liste n'est sans doute pas close de tous ses assassinats. Combien a-t-il semé de cadavres le long des haies et sous les taillis, ce chevalier errant du massacre ?

    C'était un monomane, disent les aliénistes, qui le réclament déjà au nom de ces funestes théories d'irresponsabilité si clémentes aux assassins. Qu'importe ? Les loups non plus ne sont pas responsables, ni les chiens enragés. On n'hésite pas cependant à les supprimer. Et Vacher n'est-il pas une vraie bête fauve ?

    Quel argument en faveur de la peine de mort qu'un monstre tel que celui-là !

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