Causerie
Paris possède présentement un « homme, du jour », c'est-à-dire une personnalité sur qui converge toute l'attention passionnée de la Ville-Lumière. C'est un clerc de notaire qui ne veut pas déménager.
Locataire d'un troisième étage de l'avenue de Clichy, ce citoyen intrépide a refusé de se laisser exproprier. Il a vu partir les uns après les autres, chassés par les sommations du propriétaire, tous les autres habitants de l'immeuble. Lui seul s'est obstiné à ne pas quitter son logis.
Ce n'est pas que ce « home » auquel il reste si furieusement attaché soit précisément confortable. Tous les étages supérieurs sont déjà démolis; ceux du dessous le sont presque complètement. Il n'y a plus de toit : une bâche en tient lieu qui défend bien mal le locataire récalcitrant contre les inclémences de l'automne.Plus d'escaliers. Une mauvaise échelle en remplit l'emploi. Qu'importe ! Bravant les intempéries, les dangers de chute, les plâtras et les tuiles sur la tête, ce clerc de notaire, digne des temps antiques, demeure en son chez lui,impavide et résolu.
Aussi est-il devenu promptement populaire dans ce grand Paris qui compte tant de gobeurs. Des attroupements se forment devant la maison pour voir le héros des locataires grimper à son perchoir ou en descendre. On lui fait des ovations comme au roi de Siam, à tel point que les débordements de l'enthousiasme public ont nécessité un service d'ordre. Il est devenu une gloire parisienne. Et même un comité s'est formé pour en faire le député de Montmartre aux élections prochaines.
Assurément on trouvera difficilement un candidat ayant donné plus de preuves de la solidité de ses convictions, pour peu que notre homme soit aussi têtu comme citoyen que comme locataire. Mais, si ce n'est pas un moyen ingénieux de lancer une candidature, quels peuvent bien être les secrets mobiles qui ont amené ce clerc de notaire à prendre une attitude aussi incommode et si peu conforme aux façons d'être de sa paisible corporation ?
A-t-il voulu se rendre célèbre en spéculant sur la badauderie parisienne par une fumisterie bruyante renouvelée de Vivier ou de Sapeck ? Si oui, on ne saurait contester la plénitude de son succès. Ses pareils à deux fois ne se font pas connaître. Le voilà passé maître avec son coup d'essai. Est-ce plutôt un de ces légistes grincheux qui subiraient mille morts et « embêteraient jusqu'à la gauche » leurs contemporains plutôt que de céder une parcelle des prérogatives qu'ils croient tenir du code? L'hypothèse est vraisemblable. Ces formalistes enragés ne sont pas rares. Ou bien, plus simplement, le tabellion surnuméraire a-t-il pour sa demeure l'attachement profond de ces animaux domestiques qui se laissent mourir sur place plutôt que de déménager?...
Quoi qu'il en soit d'une analyse où le psychologue hésite, le cas est curieux et digne de cette butte Montmartre où le « proprio » est considéré comme l'ennemi. Mais c'est bien la première fois que le notariat se lance dans cette lutte, jusqu'à présent réservée aux incohérents et aux bohèmes. Que va devenir la propriété si ceux qui, par état, sont tenus de la respecter et de la défendre avant les autres, donnent contre elle l'exemple de la rébellion aux applaudissements des foules !
Nos bons docteurs, rien du malheureux Laporte :
Un illustre maître accompagné de son interne ausculte un client : Ce n'est rien jeune homme ; quelques jours de repos et il n'y paraîtra plus. Seulement, prescription essentielle : ne jouez plus jamais de la clarinette!
C'est tout docteur?
Tout. Et je réponds de votre santé...
Le client sort. Et l'élève ébahi d'interroger le célèbre morticole : La clarinette? Je ne comprends pas...
C'est pourtant bien simple. Ce jeune homme habite au-dessus de moi. Et jour et nuit, il m'assomme avec son instrument !