La morgue
Tout le monde connaît ce bateau amarré près du pont de la Guillotière; une petite maisonnette se balançant au gré du flot et se détachant en gris clair sur la silhouette sombre du vieux pont.
L'aspect extérieur n'en est pas trop triste, mais dès qu'on en franchit le seuil on a une toute autre impression. C'est en effet la Morgue, le local macabre où sont transportés tous les morts dont on ne connaît ni le nom ni le domicile.
Cette salle d'exposition où derrière un vitrage sont étendus sur des dalles les cadavres nus et défigurés, est glaciale et lugubre. Et pourtant la Morgue a ses habitués qui viennent nombreux voir les noyés et les autres pauvres hères, victimes d'un crime, d'un accident ou d'un suicide.
Il y a là des commères, des vieillards, des voyous et des filles de moeurs légères, que ce funèbre spectacle semble intéresser au plus haut point. On y voit même des enfants qui trouvent que les « macchabées c'est rien rigolo !».
Le gardien de la Morgue, le brave Monsieur Delaigue, dont la casquette et la longue barbe sont légendaires, est là derrière ce public bizarre et attend patiemment que quelqu'un ait reconnu les corps ainsi exposés.
