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Causerie.

Les pèlerins du Saint-Graal musical de Bayreuth ne sont pas revenus enchantés cette année, et peut-être même, parmi ceux que n'afflige pas l'incurable snobisme, leur foi a-t-elle reçu quelque atteinte.

D'abord il a fait presque tous les jours un temps atroce, un de ces temps d'Allemagne dont Henri Heine a dit qu'ils font pleurer les coeurs. Et ce n'est pas une prédisposition heureuse pour goûter les joies de l'art, — quand elles sont déjà austères par elles-mêmes, — que le froid, la brume et le ciel sombre.

Mais ce qu'il y a déplus grave, c'est que le théâtre lui-même, ce théâtre que les fanatiques nous représentent comme un idéal inaccessible à nos scènes françaises, a paru aux wagnériens les plus sincères en réelle décadence. Sans doute l'orchestre est toujours discipliné et attentif et son initiation aux oeuvres du maître est d'une merveilleuse fidélité. Pourtant cela n'est vrai qu'aux jours où Félix Motl tient le bâton. Parsifal, dirigé par l'éminent cappelmeister, a été un pur délice.

Mais pour la Tétralogie, l'orchestre avait comme chef Siegfried Wagner, le fils du Dieu, et l'exécution s'est ressentie cruellement de son inexpérience. De bons juges estiment que, sous sa direction, l'orchestre de Bayreuth n'est nullement supérieur à notre orchestre de Lyon. Quant à l'interprétation du chant elle a été le plus souvent pénible. Par respect pour les vieilles gloires, ou plutôt, comme le bruit encourt, pour payer de moindres cachets, Mme Wagner maintient comme chefs d'emploi les artistes qui chantaient du vivant de son mari. Ce ne sont plus que des ruines. Malgré leur science des traditions, ils font peine à entendre. Et sans Van Dyck, qui a été un admirable Parsifal, la désillusion eût été complète.

Si l'on joint à tout cela la durée interminable des spectacles, l'intransigeance absolue qui impose l'exécution complèto du texte en dépit des longueurs, malgré la puérilité de certaines scènes des livrets — car Wagner, quoiqu'on en dise, fut souvent un librettiste maladroit et un esprit par trop allemand — on comprend que nos compatriotes retour de Bayreuth aient remporté de là-bas une impression presque aussi froide que celle que leur laissa le climat.

En somme, il n'y a que Parsifal qui puisse maintenir encore pour quelque temps, à la Mecque wagnérienne, une partie de soi; ancienne vogue. En commerçante avisée, Mme Wagner interdit que Parsifal soit représenté sur une autre scène. On ira donc à Bayreuth pour ce suprême chef-d'oeuvre. Mais la plupart des drames lyriques wagnériens sont exécutés ailleurs en des conditions artistiques égales et y sont goûtés plus aisément grâce à des coupures intelligentes et nécessaires.

Les enragés continueront sans doute à considérer avec mépris les bonnes gens qui prennent plaisir à la Walkyrie représentée à l'Opéra, ou aux Maîtres Chanteurs joués à Lyon. Laissons dire et faire ces esprits éminents. Chacun prend son plaisir où il le trouve et les Français ont bien le droit de le prendre chez eux plutôt que de l'aller quérir en Allemagne...

Dimanche nous allons entendre une autre musique, celle des chasseurs qui font parler la poudre, les fanfares des piqueurs et les aboiements des chiens. C'est la solennité annuelle de l'ouverture de chasse, le plus beau jour de l'année pour les innombrables chasseurs auxquels, moyennant vingt-huit francs, l'Etat donne le droit d'effrayer les moineaux et de terrifier les lapins.

Mais ce n'est pas toujours au gibier que vont les plombs de tous ces Nemrods, témoin l'anecdote suivante dont l'an passé, au jour de l'ouverture, un de nos financiers, plus redoutable aux gogos qu'aux perdreaux, fut le héros involontaire :

Deux gendarmes chevauchaient sur sa terre princière où il y avait grande battue et nombre d'invités de distinction. Nos Pandores s'arrêtèrent au bout de la ligne des tireurs pour jouir du spectacle de la chasse. A quarante pas d'eux marchait le financier. Part une compagnie de perdreaux. Pan ! le monsieur tire son premier coup. Pas un oiseau ne tombe, mais le brigadier reçoit des plombs au bas du dos. Repan ! le second coup part et derechef les perdreaux s'envolent sains et saufs tandis que le second gendarme est atteint au même endroit.

Allez dire aux gendarmes, ordonne à un garde le maladroit capitaliste, qu'il y a pour eux un louis par grain de plomb. Les représentants de l'autorité s'empressent de se déculotter à l'écart pour faire leur compte. Et, l'on entendit la voix sévère du brigadier faire cette observation à son subordonné : C'est tout de même peu hiérarchique que le postérieur d'un inférieur se soit permis de recevoir plus de grains de plomb que celui de son chef !

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