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    Causerie.

    Enfin! Un fléau plus que centenaire dont le poids impitoyable a fait naître sous les crânes des humains d'effroyables tempêtes et de déprimantes migraines; un instrument de torture qui s'est imposé inéluctablement à tous, même aux grands de la terre, comme un tyran inamovible ; un Protée invincible qui malgré des changements de forme et de couleur n'a pas cessé de s'imposer au monde depuis un siècle, — le chapeau haut de forme enfin, puisqu'il faut l'appeler par son nom, est cette fois menacé d'une déchéance définitive.

    C'est d'outre-Manche que nous vient cette nouvelle incroyable, sensationnelle, stupéfiante, pour laquelle toutes les épithetes qui jaillissaient si aisément de la plume jacasseuse de madame de Sévigné seraient à peine suffisantes. Le monde de la chapellerie et de l'élégance va être secoué d'un vif émoi en apprenant que le prince de Galles, empereur de la mode en attendant d'être empereur des Indes, se consume présentement en de patientes et difficiles études pour établir le nouveau couvre-chef qui déboulonnera l'antique colonne...

    A la suite de quel état d'âme le prince s'est-il lancé dans cette grave aventure dont il ne se dissimule certes pas tous les aléas et toutes les responsabilités ? Car un homme de son rang, arbitre incontesté des lois du chic, ne saurait de gaité de coeur risquer un échec en s'attaquant à un adversaire aussi redoutable, aussi solidement établi sur toutes les têtes distinguées du monde entier.

    De l'explication, d'ailleurs plausible, donnée par les journaux anglais, il résulte que pendant les fêtes du Jubilé où le prince de Galles dut revêtir tantôt l'uniforme de généralissime et le chapeau à plumes, tantôt la redingote et le chapeau haut de forme, il souffrit si cruellement de cette dernière coiffure, son royal crâne fut baigné sous le tube d'une sueur profuse si gênante, qu'il jura à part lui de ne plus s'exposer jamais à un tel supplice.

    S'il en est ainsi, bénissons cette transpiration aristocratique! Elle nous vaudra une des révolutions les plus bienfaisantes que l'histoire ait enregistrées. Quand ce grand prince mourra, c'est-à-dire au bout de longues années, s'il imite la longévité de son auguste mère, il suffira d'inscrire sur le tombeau qui lui est réservé sous les arceaux gothiques de Westminster, cette simple inscription à la suite de ses nom et qualités :

    CI-GITLE VAINQUEUR DU CHAPEAUHAUT DE FORME

    Et lorsque les générations futures iront saluer son monument, sous la conduite des agences Cook des siècles à venir, c'est avec reconnaissance qu'elles évoqueront le souvenir de cette victoire dont pâlira la gloire des Nelson et des Wolseley...

    Mais, allez-vous demander avec une anxiété que je partage, par quoi sera remplacé le gibus aux douze reflets ? L'héritier de la Couronne d'Angleterre a fait sur ce point important des confidences singulièrement alléchantes. Le chapeau futur, fruit de ses investigations et de ses veilles, la coiffure idéale dont il prépare l'avènement avec l'effort studieux d'un Pasteur découvrant à la science des horizons inconnus, sera tout le contraire de l'autre.

    Autant le « haut de forme » était horrible, pesant, rigide et bête, autant le couvre-chef-Messie, que l'humanité espère si ardemment, sera gracieux, léger, souple et spirituel.

    Le Gaulois, — où M. Arthur Meyer, disciple du prince de Sagan et admirateur du prince de Galles, publie d'une plume si fidèle les enseignements de ces génies de la mode, — dépeint cette merveille des merveilles par la phrase suivante : Ce sera le chapeau fin d'époque, le chapeau moderne approprié à nos besoins nouveaux, à nos aspirations actuelles, le chapeau-chic-commode-sportif-élégant-hygiénique.

    Comme en termes précis ces choses-là sont dites ! Et quel programme séducteur ! Si le prince parvient à le réaliser, ce jourlà, au moins personne ne songera à médire de la perfide Albion.

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