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    Causerie.

    Le Marivaux de ce siècle, le fantaisiste exquis et profond, l'auteur comique souriant et ému dont le rire au léger coup d'ailes fut parfois mouillé d'une larme discrète, l'écrivain de Froufrou et de la Grande Duchesse, Henri Meilhac, c'est-à-dire l'esprit même de Paris, vient de s'éteindre entre un déjeuner chez Durand, une promenade au Bois et une première des Folies-Bergère.

    C'est une grande perte pour les lettres. Meilhac personnifiait le talent aimable et la grâce spirituelle, c'est-à-dire une forme d'art qui s'en va avec lui. Aujourd'hui on est triste et rosse. L'ironie ne sait plus sourire : elle mord ; la critique n'égratigne plus : elle assomme. Où sont le charme, la facilité, la belle humeur, l'indulgente morale ? Dans le cercueil de l'auteur de la Vie parisienne.

    Et si le talent de Meilhac fut facile, il n'allait pas sans profondeur. Il eut par instants la touche moliéresque. Son observation pénétrait dans le fond même de l'âme humaine. On en a cité avec raison comme exemple, la scène principale de la Petite-Marquise :

    La marquise s'est enfuie du domicile conjugal pour aller rejoindre son flirt, l'ardent Boisgommeux. Les amoureux s'épanchent. Le dialogue s'engage entre Elle et Lui : Vous rappelez-vous, lui dit-elle, ce que vous me disiez quand vous me faisiez la cour ? Votre amour était immense, profond comme le grondement lointain du tonnerre, suave comme la crépitation des étoiles. Si vous étiez libre, me disiez-vous, si rien ne nous séparait l'un de l'autre... Oui, chère. Malheureusement c'était un rêve ! Un rêve ? Dame ! Eh bien ! mon ami, ce rêve va maintenant devenir réalité.

    Là-dessus le visage radieux de Boisgommeux se rembrunit visiblement. Certes la marquise est adorable d'avoir tout planté là pour lui. Ça, c'est très bien au point de vue sentiment. Mais quelles conséquences matérielles ! Des embêtements, du scandale, une femme sur les bras... Bref le réveil du bon petit égoïsme. Notre posilion est fausse; vous n'êtes pas libre, bégaie-t-il, si javais un conseil à vous donner... Ce serait de m'en retourner ! riposte Henriette qui a compris et qui la trouve mauvaise.

    Boisgommeux essaie des réponses diplomatiques. Mais la marquise va droit au but, désabusée et furieuse : Vous ne m'avez jamais aimée.

    Et lui : Je vous ai aimée en homme du monde !...

    Ce mot dit tout ; il dépeint l'homme de son temps. Ce sont là de ces traits définitifs par où s'affirme la maîtrise de l'écrivain de moeurs.

    Et l'imbécillité des jocrisses de l'amour, — il s'y connaissait par expérience le pauvre Meilhac ! — comme il l'a rendue avec un large et savoureux comique ! Par exemple le juge la Muzardière qui a mis dans ses meubles une jeune actrice, Mlle Mariette. Sur le même palier que Mariette habite une cocotte. Fâcheuse coïncidence ! Ainsi, un soir, nous explique le bon magistrat, j'arrive chez Mariette — un ange de fidélité Monsieur ! je trouve un jeune homme installé là tout de son long. Je me fâche. Ce jeune homme s'était mépris ; il croyait être en face. Oui Monsieur, il croyait être en face. J'ai bien ri !

    Et ce mot charmant sur la joie secrète qu'éprouvent les hommes aux mésaventures d'autrui ? Il s'agit de M. Van-der-Pouff, — Tricoche et Cacolet, — en quête de sa femme qu'il craint en escapade amoureuse. Il arrive tout angoissé à la gare de Lyon: Je cours, explique-t-il, je trouve une femme voilée ; je lève le voile, ce n'était pas ma femme, c'était celle d'un de mes confrères qui partait avec un jeune étranger très aimable. Je leur ai fait mes excuses ; je les ai mis en wagon ; je suis parti tout remonté.

    On le voit, Meilhac n'est pas seulement l'inventeur bouffon du « trop de fleurs », de Calchas, et du « bu qui s'avance ». Ce fut aussi un moraliste, quelque chose comme un La Rochefoucauld de la place de la Madeleine.

    Jacques Mauprat

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