Sommaire :

    Causerie.

    Où s'arrêtera-t-on dans les records fantastiques de la bicyclette ? Quand sera-t-il atteint le maximum de vitesse et d'endurance que peut donner la machine humaine jointe à la machine d'acier ? On reste vraiment confondu devant les résultats des récentes grandes épreuves. Bordeaux-Paris, le match annuel des coureurs de fond, a été couru dimanche et gagné par Rivierre, le vainqueur populaire de la célèbre course Lyon-Paris- Lyon, organisée en 1894 par le Progrès. Et sait-on en combien de temps le champion français a couvert les 591 kilomètres qui séparent le chef-lieu de la Gironde de la capitale ? En vingt heures trente-six minutes, malgré un vent debout effroyable, et on dépit de deux « pelles » assez rudes pour décourager un homme moins solidement trempé.

    La course offrait cette année un intérêt particulier. Rivierre se mesurait en effet avec un concurrent redoutable, le Hollandais Cordang, coureur bâti en Hercule, avec une vasto poitrine et des muscles de lutteur. Rivierre, on s'en souvient pour l'avoir acclamé à Lyon, est mince, sec, effilé comme un cheval de course. Qui aurait raison l'un de l'autre, de l'athlète ou du pur sang? « Lutte de géants » disent les journaux spéciaux dont le lyrisme est, lui aussi, comme les bicyclettes perfectionnées, à multiplication... Sans aller jusqu'à ce degré dans l'enthousiasme qui s'explique chez les professionnels, il est certain que la rencontre ne manquait pas d'attrait et le public l'a d'ailleurs montré en s'y passionnant.

    Rivierre est arrivé premier avec dix-sept minutes d'avance. Mais au prix de quelles luttes, de quels efforts et de quelles péripéties ! Il en a écrit lui-même le récit pour le Vélo. Rivierre a un joli brin de plume au bout de sa pédale. L'histoire de ses impressions de route est une lecture vivante.

    Du commencement à la fin de l'immense ruban de six cents kilomètres, Cordang et lui se sont empoignés furieusement comme des duellistes enragés qui se ruent au corps à corps...

    Dans les cinquante premiers kilomètres, les deux adversaires ont fait route cote à côte, essayant vainement de se dépasser. A Guitres, un peu au delà de Libourne, Rivierre, arrêté par un troupeau de boeufs, est lâché par Cordang, qui prend un quart d'heure d'avance À Angoulême, Rivierre fait une première chute dans la nuit. Qu'importe ! Il remonte courageusement sur sa machine et se lance à corps perdu, malgré l'obscurité, à la poursuite du Hollandais, qui mérite vraiment de s'appeler comme le héros de Wagner, le Hollandais volant. Seconde pelle un peu avant Orléans, à Beaugency, où un chien fait faire à Rivierre panache complet en compagnie de ses entraîneurs. Malgré ses genoux sanglants, l'intrépide lutteur se remet à pédaler de plus belle. D'ailleurs, il est entraîné par une automobile qui lui coupe le vent. Le train devient fantastique et fou. Enfin, à une descente, dans un tourbillon de vitesse éperdue — cinquante kilomètres à l'heure ! — Rivierre aperçoit le maillot jaune de Cordang. C'est l'effort suprême. Quelques minutes, où les kilomètres sont dévorés roue à roue, et Rivierre prend la tête, qu'il gardera désormais jusqu'au poteau d'arrivée.

    On ne saurait nier l'intérêt sensationnel d'un tel tournoi, quoi qu'en puissent dire les détracteurs des grandes courses sur route. Tout le long du parcours, comme en touchant le but, les énergiques champions ont été acclamés par des milliers de cyclistes et de curieux. Nous savons ce que sont ces ovations que Rivierre a déjà goûtées en 1894, à Lyon, sur le balcon de l'hôtel du Progrès.

    Meyer, que Rivierre battit dans notre course, a brillamment enlevé la troisième place dans Bordeaux-Paris. Et le jeune Trousselier, un amateur de dix-huit ans, vainqueur de l'épreuve Lyon-Genève- Lyon, organisée par nous l'an passé, s'est classé bon quatrième. On voit que les champions du Progrès ne s'endorment pas sur leurs lauriers...

    C'est la plus évidente démonstration de l'importance sportive de nos courses et de l'exceptionnelle valeur des concurrents qui se sont mis en ligne pour disputer les prix du Progrès et la renommée cycliste qui en est la consécration.

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