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Causerie.

On meurt toujours inopportunément. Mais il est hors de doute que si le duc d'Aumale était mort quelques jours plus tard ou plus tôt, il aurait eu une presse non pas meilleure, car elle a été excellente, mais une plus large place dans les journaux. Or, toutes les colonnes étaient encombrées par les détails sur le lugubre xxx de la rue Jean-Goujon. Tant de cercueils d'innocentes victimes ont fait tort à celui du duc. Sans quoi, on eût répandu plus d'articles sur sa tombe...

On a parlé ailleurs de ce qu'il fit au point de vue de sa vie publique. Son nom a bien nui à sa carrière ! Mais c'était un homme qui valait avant tout par les plus aimables qualités personnelles. Il avait de l'esprit et quelques-unes de ses répliques sont restées célèbres. On n'a pas oublié sa réponse à Bazaine, qui dans son procès s'excusait de la trahison de Metz, en disant qu'il n'avait pas su où était le devoir parce que dans le pays « il n'y avait plus rien. » Il restait la France, Monsieur ! lui jota à la face le duc d'Aumale.

Le châtelain de Chantilly était aussi facétieux à ses heures. Lors de son retour en France, après la prise si brillante de la smala d'Abd el Kader, il eut, dans toutes les villes qu'il traversait avec le 17e léger, un accueil triomphal. Tous les maires, solennels et enthousiastes, ne manquaient pas de le haranguer de leur mieux et leurs homélies « rasaient » le vainqueur de l'émir. Pour abréger ces débauches oratoires il avait trouvé un bien joli truc : son tambour-major avait une consigne et quand le colonel d'Aumale jugeait que les maires avaient assez parlé, sur un clignement d'yeux adressé au chef des tapins, un impitoyable roulement de tambours arrêtait net les débordements de la faconde municipale.

Il aimait aussi raconter des histoires drôles. Une de celles que ses familiers entendirent le plus souvent avait pour héros un notaire de Chantilly, sur lequel, affirmait gravement le duc, un cerf tira deux coups de fusil.

Ce notaire était autorisé par le duc à tirer des lapins dans la forêt. Un jour, il veut s'asseoir et pose d'abord son arme par terre sans la désarmer. Lorsqu'un cerf effrayé, bondit, accroche de ses andouillers la bretelle du fusil et les deux coups partent, atteignant le notaire au bas du dos. C'est ainsi qu'un tabellion fut fusillé par un dix-cors ! Le duc d'Aumale narrait cette anecdote, et d'autres du même genre, avec la plus joyeuse belle humeur.

C'était aussi un vert-galant comme son aïeul Henri IV. Nombreuses furent ses aventures, dont il ne se cachait d'ailleurs pas. Léonide Leblanc fut longtemps du dernier bien avec lui, et le duc répétait lui-même ce mot charmant de la spirituelle hétaïre :

C'était pendant une réception à l'Académie, où devait parler l'académicien princier. Léonide Leblanc était à une des meilleures places. Derrière elle, des dames de la haute aristocratie murmuraient de se voir à un rang moins bon que la demi-mondaine.

Cependant nous avons des droits à être ici, dit l'une d'elles. Moi, par exemple, je dine chez Monseigneur.

Léonide se retourne, et avec un sourire ineffable : C'est bien plus fort : moi j'y couche!

Nous avons eu cette semaine les courses de Lyon. Elles ont été médiocres le dimanche, superbes le lundi ; avec, le second jour, un soleil radieux, des toilettes exquises et un sport intéressant.

Comme d'ordinaire, il y a eu des bookmakers qui ont levé le pied et des chevaux qui sont tombés à la rivière, assommant plus ou moins leurs jockeys.

A ce propos, il semble qu'il y ait quelque chose à faire pour prévenir les graves et nombreuses chutes qui se produisent au Grand-Camp. Le terrain est si mauvais que les courses d'obstacles y sont toujours dangereuses. Le remède serait sans doute d'avoir des obstacles moins durs.

En tout cas, il y a des améliorations à tenter. C'est une question de pitié pour les chevaux et d'humanité pour les cavaliers. Rien de plus pénible à voir que les effrayantes salades du steeple, en face des tribunes. C'est un salmigondis de chevaux faisant panache et de jockeys désarçonnés. Et cela ne va pas sans qu'il y ait de la casse.

S'il existait, comme pour les animaux, une Société protectrice des hommes, il y aurait lieu pour elle d'intervenir, dût le plaisir sportif en être diminué. Mais au fond nous aimons les spectacles barbares où les acteurs risquent leur vie, et beaucoup vont aux courses, comme d'autres à la menagerie, dans l'espoir secret et féroce de voir le dompteur mangé !

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