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    Causerie.

    Ou joue actuellement dans les journaux littéraires à un petit jeu assez amusant. Il consiste à publier le recueil des « gaffes et lapsus » des écrivains connus. Il y en a d'extraordinaires que Calino lui-même ne désavouerait pas. C'est une lecture assez gaie, et ces anas sont d'autant plus piquants que les auteurs ont tous du talent. Mais le talent, le génie même, ne sont pas exempts de distractions : on écrit sans rélléchir, préoccupé de la pensée plutôt que de l'expression, et il en résulte des bêtises...

    C'est Ponson du Terrail qui ouvre le feu avec cette phrase vraiment sublime : « Ah! s'écriat-il, en portugais ! » Du même auteur on cite encore un bel exemple de galimatias : « Il dormait là. dans le lent crépuscule matinal de celle aurore de pluie... » Avec le légendaire : « Il avait la main froide comme celle d'un serpent! » en voilà assez pour la gloire d'un homme.

    Sarcey, le cher oncle, peut prendre rang immédiatement après Ponson. C'est lui qui perpétra la fameuse « étoile en herbe », pour laquelle il désirerait « dans le chant un peu plus de légèreté de main ». Le grand critique a eu aussi cet aphorisme bien étonnant : « Le piquant de la plaisanterie c'est d'être émoussé ! » Mais qu'il lui soit beaucoup pardonné car il a beaucoup écrit...

    Un autre critique, M. Hector Pessard, a parlé quelque part d'un « poignard qui fait coup double ». Ce poignard était donc un pistolet à deux coups ? M. Octave Mïrbeau a fait la découverte « d'inutiles et inallaitables mamelles ». Etranges mamelles que celles qui ont besoin d'être allaitées ! Cela fait penser a ces rivières de Grèce, décrites par Victor Duruy, et qui « coulent à sec en été ».

    Comme figure de rhétorique je ne vois rien de plus hardi que la phrase d'Armand Silvestre : « Le taureau divin qui cinglait vers l'ile de Crète. » C'était donc un taureau à voiles. Curieux animal ! A rapprocher de l'oiseau singulier imaginé par M. Camille Le Senne : « Noirs comme les ailes du geai », dit-il, en parlant des cheveux d'une héroïne de roman. Or, le geai a les ailes grises et bleu clair. Il y a en effet un « jais » très noir, mais c'est une pierre.

    Dans les journaux, les « gaffes » sont plus nombreuses encore que chez les écrivains qui produisent à tête reposée. On est pressé par l'heure, les lignes s'alignent fiévreusement, les typographes s'en emparent, et c'est à peine si on a le temps de se relire.

    C'est un journaliste des Débats qui s'est illustré par « des projets êclos dans les ministères et couvés par leurs auteurs n'arrivant jamais à bon port ». Un autre journal, cette fois dans le feuilleton, a raconté que « les réverbères qui n'existaient pas encore, rendaient la nuit plus obscure ». Réminiscence inspirée de l'exclamation légendaire du professeur déserté par ses disciples : « J'aperçois sur les bancs de cette classe un grand nombre d'élèves qui sont absents! »

    Un autre confrère imprimait fièrement : « Le Melbourne, courrier d'Extrême-Orient, vient d'entrer dans le port de Versailles. » Un transatlantique dans la pièce d'eau des Suisses. Quelle surprise !

    Enfin, dans une étude sur la " Domesticité en France ", un chroniqueur terminait par cette péroraison au moins inattendue : « Les domestiques français dans les vieilles familles furent admirables en 1793. On en vit un grand nombre qui se laissèrent guillotiner à la place de leurs maîtres et qui, les jours de calme revenus, reprirent silencieusement et respectueusement leur service. » Fichtre ! Deux heures avant sa mort M. de la Palisse était encore en vie ; mais ces héroïques laquais étaient toujours en vie plusieurs mois après leur mort. On tombera d'accord avec leur panégyriste qu'ils furent en effet admirables !

    Le mot de la fin nous sera fourni par une coquille d'un journal mondain. Avec force condoléances respectueuses il annonçait le décès d'un comte de Grammont, prince de Bidache. La copie était sans doute mal écrite, à moins que le typographe ne fût facétieux, ce qui arrive parfois. Toujours est-il que les lecteurs de l'organe du high-life lurent, le lendemain, cet écho stupéfiant : « On nous apprend la mort de M. le comte de Grammont. Mince de Bidoche ! »

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