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Causerie.

Ce qu'il y a eu de plus intéressant dans le concours hippique de Lyon ce ne sont pas les chevaux, mais bien les chiens, dont un groupe d'intelligents amateurs avait organisé une exposition. Le public est venu en foule admirer ces spécimens choisis de nos demi-frères, amenés là pour conquérir eux aussi des prix de beauté, tout comme les artistes de nos théâtres aux bal des étudiants.

Cette comparaison n'a rien d'irrévérencieux car il y avait sur le cours du Midi des toutous adorables. Ils étaient très entourés, ces triomphateurs à quatre pattes, surveillés d'un oeil tendre et jaloux, par leurs maîtres et leurs maîtresses, ces derniers désolés de s'en être séparés, même pour les envoyer à la gloire.

Il y en avait pour tous les goûts : des petits, des gros, dos poils ras, des épagneuls soyeux, des king-charles minuscules, élégants bibelots de salon, des meutes de chiens courants capables de forcer un sanglier, et des dogues qui étrangleraient fort bien un cambrioleur.

J'ai remarqué avec plaisir que les éleveurs de la région n'abandonnent pas, malgré la mode et l'anglomanie, nos bonnes vieilles races françaises, comme les braques du Bourbonnais. Ces chiens-là n'ont pas le galop de course des laveracks ou des pointers, mais combien plus intelligents, plus fidèles et meilleurs compagnons !

Ce n'est certes pas un chien anglais cet étonnant Papillon dont tous les journaux de Paris célèbrent les mérites et que son maître a appris à parler comme vous et moi. Papillon ne dit pas seulement papa et maman, comme un phoque bien dressé. Il crie : Vive la République ! Vive le Czar ! Vive Félix Faure ! Et quand on lui demande s'il veut du sucre il répond : Comment donc ! Et si on lui marche sur la patte il gueule très bien : Nom de Dieu !

Quel dommage que le sympathique ébéniste qui en est le propriétaire et le professeur ne l'ait pas envoyé à l'Exposition canine de Lyon! Papillon eût fait recette et nous autres, journalistes, nous l'aurions interviewé !

Si nous avons le chien qui parle, les Américains vont avoir la femme garde-national. Ceci vaut cela. C'est l'Etat de Colorado auquel le monde devra cette innovation audacieuse. Dans ce pays si profondément féministe, non seulement les femmes votent, se font élire conseillères municipales et députées, mais voici qu'on les admet à servir dans la milice, car ayant les mêmes droits que les hommes, il est juste qu'elles remplissent les mêmes devoirs.

On ne dit pas si elles formeront bande à part — oh! le gentil régiment! — ou bien si elles seront mêlées avec le sexe fort dans les mêmes escouades. Dans ce dernier cas, les corvées militaires ne seraient pas sans d'agréables compensations. Vingt-quatre heures de garde seraient moins longues à « tirer », si on étsit de faction avec de jolies concitoyennes. Certes, quand les moeurs du Colorado viendront à s'acclimater en France, Pitou et Dumanet seront moins pressés de réclamer « la classe ».

Seulement, on peut se demander avec quelque inquiétude comment vont se passer les revues avec ces recrues nouveau modèle. On aura du mal à obtenir l'alignement. Quel que soit leur bon vouloir, les miliciennes du Colorado ne pourront cependant pas supprimer leurs formes rebondies. Et le caporal aura beau crier : Numéro deux, rentrez ! le numéro deux, pour peu qu'il ait le corsage confortable, sera obligé de répondre : Impossible, caporal, c'est naturel !

Mais n'insistons pas sur l'armée du Colorado : trop de jeunes Français seraient tentés d'émigrer pour aller servir dans son sein...

Des jeunes Français aux lycéens, la transition est facile. Nos potaches revendiquent eux aussi, puisque notre temps est celui des revendications. Ils viennent d'adresser une requête au Grand-Maître de l'Université pour qu'il leur soit désormais permis de fumer.

Cette pétition me rappelle l'âge déjà lointain

Où rêveuse bourrique,Grand diable de seize ans j'étais en rhétorique.

A nous aussi la nicotine était interdite, sous peine de séquestre et de privation de sortie. Et, plus on nous la défendait, plus nous en avions la fringale, malgré les épouvantables maux de coeur inséparables des premières cigarettes. Alors, comme aujourd'hui, le water-closet était notre fumoir secret. C'était horrible. Mais aussi quelle gloire quand, rentrant à l'étude, l'audacieux délinquant soufflait au visage de ses voisins en disant avec orgueil : Tu sais, je viens d'en griller une !

Cependant jamais, au grand jamais, les potaches d'il y a vingt ans n'auraient osé s'adresser au ministre pour réclamer le droit de fumer en dehors du certain lieu consacré aux certains devoirs pressants.

Non, décidément il n'y a plus d'enfants ! A la place de M. Rambaud je n'hésiterais point à répondre par un acte d'énergique autorité.

A tous les pétitionnaires j'infligerais ce pensum : Conjuguer cent fois le verbe Je suis un polisson de vouloir fumer en dehors des cabinets.

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