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Causerie

Avec M. Le Royer c'est une haute personnalité lyonnaise qui disparaît. Tout le monde à Lyon a connu ce charmant vieillard, autrefois avocat écouté de notre barreau, puis procureur général au Quatre-Septembre, et enfin garde des sceaux et président du Sénat.

Dans sa carrière, aussi longue que bien remplie, M. Le Royer ne fut jamais inférieur aux grandes situations qu'il occupa.

Sous ses apparences d'aimable bourgeois, avec sa physionomie toute ronde et ses manières souriantes « le père Le Royer », comme disaient ses vieux amis de la polilique, ne manquait, en effet, ni de talent ni d'énergie. Sous l'Empire, comme aux temps héroïques de la République, il fit ses preuves de courage et de dévouement. Il n'était point de ces politiciens à panache qui cherchent la notoriété dans le bruit et la réclame des attitudes truculentes. Mais les honneurs et la renommée lui vinrent par la solidité des convictions, et la longue durée des bons services intelligemment et patiemment rendus.

Au Sénat on l'aimait autant qu'on le respectait. Sur tous les bancs, il ne comptait que des amis personnels, voire parmi ses ennemis politiques. Très courtois, de répartie alerte, plein de tact et d'affabilité il fut un président remarquable, même aux séances du Congrès de Versailles, en dépit des scènes tumultueuses, suscitées par le conflit déchaîné des passions politiques.

Quant à l'homme privé, les Lyonnais sont nombreux qui l'ont approché et apprécié. Toujours bienveillant et simple, malgré son élévation d'homme d'Etat, il revenait souvent aux " bons coins " de Lyon fréquentés par lui à ses débuts. Comme causeur, il était joyeux compagnon, anecdotier spirituel, et sa verve, parfois un peu gauloise, allait à merveille à la bonhomie de toute sa personne.

Et même, dans ses déplacements lyonnais, on eut deviné difficilement, sous cet aspect modeste de petit rentier, le Président du Sénat. On raconte qu'un jour le père Le Royer, témoin d'un mariage dans un des arrondissements de Lyon, arriva un peu eu retard pour signer l'acte de l'état civil. L'employé de la mairie, pressé ou grincheux, l'interpelle un peu rudement : Eh, dites-donc, là-bas, le petit vieux aux lunettes, vous ne pourriez pas vous dépêcher plus que ça...

M. Le Royer le regarde malicieusement par-dessous ses besicles, prend le registre et signe de sa plus belle écriture :

LEROYERPRÉSIDENT DU SENAT

L'impertinent rond-de-cuir faillit s'évanouir d'émotion, en voyant avec quel sansgêne il avait traité le personnage le plus important de ce pays, après le Président de la République... Et « le petit vieux aux lunettes » n'en tira point d'autre vengeance que sa déconvenue...

Saluons avec respect la mémoire de notre compatriote. Il laisse le souvenir d'un brave homme utile à son pays, et sans qu'une tache ait jamais terni son nom. C'est là un éloge qui n'est point banal.

Une lecture que je vous recommande, c'est le rôle des pétitions envoyées à la Chambre des députés. Parmi les requêtes adressées à notre Souverain aux sept cents tètes, il en est quelques-unes de sérieuses, mais combien d'ingénues ou d'incohérentes ? J'ai sous les yeux le rôle du 12 janvier au 17 février. On y remarque d'abord le grand nombre de gens qui se plaignent de leur notaire. C'est inouï ce que les tabellions écopent dans ce recueil. Faudrait-il donc douter de leurs vertus professionnelles ?

En parcourant les pétitions d'ordre varié. je note au passage :

Le sieur Colas (Jean-Baptiste), à Paris, proteste contre le projet Paris-port-de-mer.

En quoi ce projet peut-il offusquer Colas Jean-Baptiste ? C'est peut-être un monsieur qui craint le mal de mer !

Le sieur Lassus (Pierre-Isidore) soumet à la Chambre un nouvel engin de guerre.

Il retarde de quelques années, le sieur Lassus. Ces inventions-là étaient bonnes en 1870, époque lamentable des « fusils curvilignes » et des « bombes stupéfiantes ». Depuis, heureusement, nous avons d'autres engins.

Le sieur C. Wattecamps, à Paris, demande le rétablissement des diaeniers.

Celui-là a dû voir jouer les Maîtres Chanteurs. Il lui faut des corporations et des guildes. Sa montre retarde encore plus que celle du précédent...

Le sieur Balma (François-Paul), à Cette (Hérault), demande que tous les fonctionnaires de l'Etat soient âgés d'au moins trente ans et mariés.

Voilà un ennemi des célibataires. Inimitié d'ailleurs partagée par toutes les jeunes filles ayant coiffé sainte Catherine. Mais que feront les futurs fonctionnaires avant trente ans ? M. Balma veut-il leur assurer des rentes ?

Le sieur Guyonnet (Louis), à Paris, demande qu'on n'oblige plus les prévenus, pendant leur séjour à la Conciergerie, à frotter chaque matin le plancher de leur cellule avec le fond d'une bouteille vide.

Voilà une révélation pleine d'horreur. M. Guyonnet a certes raison. Ni vous ni moi n'avons été pensionnaires de la Conciergerie, mais nous concevons de reste le désagrément de ce frottage au cul de bouteille. D'autant plus qu'elle est vide. Ah, si elle était pleine, M. Guyonnet n'eût peut-être pas réclamé !

Le sieur Mouillé père, à Chantenay-sur-Loire (Loire-Inférieure), soumet à la Chambre un système de tampons.

Idée d'ordre supérieur, bien qu'elle émane d'un indigène de la Loire-Inférieure. Sans doute ces tampons sont destinés à prévenir les collisions entre députés, et aussi au ministère des Affaires étrangères pour les combinaisons d'Etats-tampons. M. Mouillé père est digne de la reconnaissance publique. Et puisque, de par son nom, il semble destiné à subir souvent la pluie, je propose qu'on vote à titre de récompense nationale, un parapluie d'honneur au grand citoyen Mouillé.

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