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    Causerie

    Les journaux du commencement de cette semaine ont raconté un fait-divers qu'on ne saurait lire sans un frisson d'horreur : l'assassinat de deux enfants de cinq ou six ans par un précoce assassin d'une douzaine d'années. Et ce crime effroyable a été commis pour voler treize sous !

    Nous sommes malheureusement accoutumés, depuis quelques années, à ce que le fameux Place aux jeunes soit d'application courante dans le monde des criminels. Dans la carrière des escarpes et des chourineurs, les adolescents et même les enfants prennent rang avant l'heure, comme s'ils voulaient justifier ironiquement les fameux vers du Cid :

    ...mais aux âmes bien nées,La valeur n'attend pas le nombre des années.

    La liste serait en effet terriblement longue des jeunes scélérats qui pour leur coup d'essai ont voulu des coups de maître, et dont le couteau meurtrier a atteint, dès le début de leurs primes années, les plus noirs forfaits des vieux " chevaux de retour ".

    Tout récomment on a vu devant la Cour d'assises comparaître les trois meurtriers de la baronne de Valley : aucun d'eux n'avait vingt ans. Mécréant, un des assassins du jardinier d'Auteuil, Doré, le héros sanguinaire du crime de Courbevoie avaient tué à seize ans — seize ans, l'âge de Roméo, l'âge de Juliette ! Lorsque Kaps fut arrêté pour avoir saigné un vieillard, ses dix-neuf ans sonnaient tout juste et depuis cinq ans déjà ses états de service comptaient un assassinat demeuré inconnu. J'en passe et des meilleurs...

    Tous ceux qui ont étudié cette jeunesse immonde, criminalistes, médecins ou gens de police ont constaté unanimement qu'il ne fallait pas lui chercher une excuse dans l'inconscience. Ce ne sont ni des brutes ni des imbéciles, ces mineurs du crime. Mais bien plutôt des cyniques, des blagueurs féroces, des matamores avides d'épater la galerie. Et puis, c'est pour eux une carrière plus facile que les autres. Quelquefois même ils tuent « pour rien, pour le plaisir », comme les duellistes du temps de Louis XIII.

    Un ancien juge d'instruction, qui a fait un livre sur les dessous de l'armée du crime, a rapporté cet interrogatoire d'un jouvenceau, étrangleur de son propre père : Pourquoi avoz-vous commis ce parricide ? J'sais pas bien... Vous aviez eu une dispute avec votre père ? Non. Vous vouliez le voler ? Y avait pas d'galette. Alors dans quel but ? Mais, j'sais pas au juste, j'vous dis; pour m'amuser, pour rigoler, pour voir la gueule qu'il ferait !

    Je comprends de reste qu'on s'apitoie sur les atrocités dont sont victimes les Arméniens et les Cretois. Cependant, on le voit, nous avons aussi chez nous nos Turcs, et même nos jeunes Turcs qui ne sont pas moins massacreurs et cruels, quoique nés en France, sujets de Félix Faure et non d'Abdul-Hamid.

    Mais parmi les « étoiles en herbe » qui ont scintillé sur la scène du crime, la première place appartient sans conteste au petit prodige de douze ans dont je parlais en commençant. Celui-là détient le record... Décidément, il n'y a plus d'enfants !

    Que faire pour endiguer ce flot montant de la criminalité juvénile ? Faut-il en appeler au médecin ou au gendarme, à la Salpétrière ou à la Centrale ? On ne sait trop que répondre, et le savant comme l'homme de loi avouent leur incompétence. Hélas, pas plus la douche que les chaussons de lisières ne sont des remèdes contre la hideuse contagion !

    Le moyen âge avait ses lépreux qu'il ne savait pas soigner et que depuis nous avons guéri. Nous aussi nous avons les nôtres. Mais c'est une lèpre morale devant laquelle nous demeurons impuissants et terrifiés. Car on a beau être philosophe, expliquer tout par la dégénérescence et l'hérédité, comment ne pas frémir devant cet assassin et ses deux victimes, qui à eux trois faisaient bien vingt-trois ans ?

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