Sommaire :

Causerie.

M. Halanzier, mort l'autre semaine, fut quelque peu Lyonnais dans sa carrière directoriale. Notre Grand-Théâtre l'eut à sa tête pendant plusieurs années. Il s'y montra comme partout administrateur avisé, comptable soucieux des fins de mois, négociant habile dans son commerce.

Mais ce ne fut jamais un artiste. L'escalier de l'Opéra lui gagna une fortune. Elle ne lui vint pas comme la juste récompense d'efforts heureux pour l'art. On chercherait vainement, parmi les opéras montés sous son nom, une oeuvre hardie et forte, marquant une étape décisive dans l'évolution lyrique.

Et même on cite de lui des mots de philistin obtus qui montrent, combien son intelligence, d'ailleurs réelle, était peu allinée pour les choses de l'esprit. Lors des répétitions de Sigurd à l'Opéra, M. Halanzier était en disputes continuelles avec Reyer, à propos du coté légendaire de l'oeuvre dont les moeurs, les costumes et les noms, empruntés aux vieilles légendes Scandinaves, choquaient la routine accoutumée à l'opéra italien.

Pourquoi avez-vous nommé votre héroïne Hilda, dit un jour Halanzier à Reyer. Hilda ce n'est pas un nom euphonique. Ça sonne mal cet h aspiré. Appelez- la donc Bilda ! Oui, lui répondit Reyer, pince-sans-rire aux vives réparties, — à condition que vous vous laissiez appeler Balanzier !

M. Halanzier laisse donc derrière lui le souvenir d'une honorable raison sociale, mais non pas la mémoire d'un grand serviteur de l'art. Ses qualités d'administrateur, il les mit pourtant au service des artistes, pour organiser des institutions de prévoyance et de secours aujourd'hui en pleine prospérité. Le monde spécial qui en bénéficie en avait besoin plus que tout autre. Les artistes souvent, sont un peu comme la cigale : ils chantent, mais quand vient la bise, ils regrettent de n'avoir pas imité la fourmi, soucieuse de l'hiver. Il faut donc protéger les cigales de l'art contre leur imprévoyance, — ce a quoi M. Halanzier s'est employé utilement.

Quant à la musique, dont M. Halanzier fut le durable grand-prêtre en son temple le plus solennel et le plus subventionné, il en ignorait tout autant qu'un huissier de chef-lieu de canton. C'est d'ailleurs un fait digne de remarque et plaisamment paradoxal, que les neuf dixièmes des directeurs de théâtres de musique ne sachent pas la musique et n'aiment pas la musique.

J'en sais qui demanderaient volontiers l'adresse du serrurier de la clef de sol, et qui voudraient être sourds pour n'être pas obligés de déguster l'harmonieuse marchandise qu'ils débitent au public. Quant à distinguer la bonne de la mauvaise musique, quant à juger et à redresser les défauts des chanteurs ou de l'orchestre, quant à prendre, avec discernement, une féconde décision pour initier le public à la nouveauté parfois périlleuse d'une formule d'art inédite et belle, autant demander à un cul-de-jatte de battre le record des courses à pied.

C'est pourquoi nous devons considérer le Directeur actuel de notre Grand-Théâtre comme une sorte de phénomène précieux et rare. M. Vizentini n'est pas seulement un musicien d'élite par le goût et le sens du beau — ne fut-il pas à son heure quelque peu critique? — Il est encore l'homme du métier le plus compétent et le plus sûr comme metteur en scène, manieur de choeurs, chef du chant et de l'orchestre. On l'a bien vu quand tout seul, brusquement privé d'un collaborateur technique considéré jusqu'à ce jour comme indispensable, il monta en deux mois et dirigea triomphalement lui-même l'admirable comédie lyrique des Maîtres Chanteurs, qui est bien la pièce la plus difficile de l'oeuvre le plus difficile mais aussi le plus parfait qui soit !

M. Vizentini a donné là toute sa mesure. Mais il est homme à se dépasser lui-même. Après avoir, le premier en France, importé et montré dans tout son éclat le joyau artistique du répertoire wagnérien, il va d'ici la fin de la saison jouer les compositeurs français comme Missa, Pierné et d'autres dont l'Opéra et l'Opéra-Comique, cependant payés pour le faire, laissent le talent inemployé.

Le Théâtre-Lyrique que Paris réclame, Lyon en est ainsi doté grâce à M. Vizentini. On peut donc se demander pourquoi l'Etat n'accorderait pas une subvention à ce vaillant, pour l'encourager dans sa mission qui intéresse désormais l'art français tout entier. Il est certain que si les artistes organisaient sur la question on petit référendum, M. Vizentini pourrait compter sur leur vote, unanime. Mais cette unanimité, malheureusement, ne saurait suppléer à la majorité de la Chambre. Et ce serait une louable initiative pour un député comme par exemple M. Aynard, si expert et si dévoué aux choses de l'art, de demander pour le Grand-Théâtre de Lyon une légitime part dans les subventions dont le budget est le dispensateur.

droit d'utilisation : Licence Ouverte-Open Licence

Retour