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    Causerie.

    Voici le temps des livres d'étrennes et les grandes personnes prennent parfois plaisir à les feuilleter, ne serait-ce que pour juger s'ils conviennent bien aux petits auxquels on les destine. C'est ainsi que je viens de parcourir un curieux album intitulé : Un Siècle de modes, où les auteurs ont fait revivre, par le texte et le dessin, les ajustements variés de nos mères et grand'mères, depuis la Révolution. Rien n'est plus amusant que cette revue des colifichets disparus, dont plusieurs cependant ont eu, de nos jours, une renaissance.

    Car la caractéristique des modes de notre temps, c'est que toutes manquèrent d'inédit. Ce fut toujours du vieux neuf. Ce siècle n'eut pas de style propre, pas plus pour les chiffons et les fanfreluches, qu'en matière d'architecture et d'ameublement. On copie les siècles passés, on accommode leurs restes en des variations plus ou moins réussies; mais on ne crée plus rien. Et ce n'est pas un fait médiocrement curieux que cette impuissance dans les arts du costume et de l'ornement, alors que la musique, la sculpture et la peinture ont eu des créateurs et des chefs d'école, alors que les découvertes de la science ont été si neuves, si fécondes et si prodigieuses...

    A partir de la Révolution, il semble que la source d'originalité se soit tarie. L'inspiration française retourne d'un bond à Rome et à la Grèce. La grande élégante du Directoire, Mme Tallien, se promène au Palais-Royal dans le costume des courtisanes du temps de Périclès :

    Grâce à la modeUne chemise me suffit.C'est fort commode.
    Ainsi chante un refrain du temps. A vrai dire, il exagérait un peu. Mais le costume néo-grec était en effet des plus succincts. Et surtout, ce n'était pas du neuf, pas plus que le turban de Mme de Staël.

    Mais, depuis la Restauration jusqu'à nos jours, la mode tourne et retourne dans le même cercle de médiocres et laids changements. Tout l'effort des maitres ès arts féminins se borne entre le grand et le petit chapeau, la manche étroite ou la manche à gigot, la jupe collante ou la robe cloche. Tantôt les femmes ressemblent à des parapluies pliés et tantôt à des sonnettes. Tantôt leurs bras disparaissent sous de vastes ballons captifs où ils nagent, ou bien sont comprimés en de minces tuyaux. Tantôt enfin leurs frimousses s'abritent sous d'immenses cabriolets, ou bien un tout petit chapeau gros comme un dé s'aperçoit à peine au sommet de leur coiffure. Mais là se borne l'invention des régents de la mode.

    C'est même ce qui rend leurs variations ridicules quand elles ne sont plus au goût du moment. Comme elles nous semblent, grotesques les modes du second empire, de même que nous parurent burlesques celles de 1830, jusqu'au jour où elles eurent un renouveau ! Aussi l'album d'Un Siècle de modes est-il, sans le vouloir, presque caricatural. N'ayant aucun caractère d'art, aucun style qui les distingue par une manifestation du beau ou simplement du joli, on rit des modes du siècle une fois passée l'heure capricieuse qui leur donna une vogue éphémère.

    Mais on ne rit pas du tout au spectacle des très vieilles modes imaginées par les siècles anciens. Ils ne sont pas ridicules les costumes du moyen âge, — brocarts, fourrures et dentelles. — sous lesquels les châtelaines présidaient noblement aux fêtes des chevaliers dans les burgs féodaux, aux tournois et cours d'amour. Et la grâce harmonieuse et riche des ajustements Henri II, où la splendeur massive des étoffes est allégée par la sveltesse des coupes et des formes. Et L'épanouissement majestueux des toilettes Louis XIV, aussi architecturales par leur ampleur ornementée que le palais de Versailles lui-même. Et enfin, le charme spirituel, le laisser-aller exquis, le retroussé pimpant et frais des modes de la Régence, le temps de l'histoire où les femmes furent le plus vraiment femmes — et à la française !

    Ces modes-là ne prêtent pas à rire quand on les voit reproduites par le tableau ou le livre. Les peintres d'histoire le savent bien, eux qui recherchent avant tout les beaux décors. Mais je ne vois pas les Paul Delaroche de l'avenir s'inspirant de nos modes... par amour du beau ! En vérité, cela est affligeant pour la femme moderne qui vaut peut-être mieux que ses devancières, au moins par le goût affiné. Je souhaite donc à mes lectrices, à l'occasion de leur petit Noël, qu'il se rencontre enfin une pléiade de novateurs pour un style vingtième siècle, — car pour ce qui est du dix-neuvième, il n'y faut plus compter. Le voilà à peu près mort, et, durant sa vie entière, il n'aura été que copiste.

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