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    Causerie.

    Nous voilà en pleine saison des théâtres, à Lyon comme à Paris. C'est l'ordinaire apanage de l'automne. Dès que les jours baissent, les rideaux se lèvent...

    A Paris, je ne sache pas qu'il se soit produit quelque événement théâtral intéressant, à part le gala de l'Opéra, le demi-gala de la Comédie, et l'impromptu de Versailles. On dit qu'à l'Opéra le Czar s'est ennuyé impérialement : c'était à la fois mauvais, solennel et froid. A la Comédie, il a été ému et charmé par notre grand Mounet-Sully et ses camarades. A Versailles, il a paru trouver piquant le spectacle si parisien où se coudoyaient Sarah Bernhardt, Coquelin, Réjane et Mlle de Mérode, sous les lambris étonnés qui virent jadis le grand roi...

    Depuis, les théâtres se sont contentés de reprises. Ils pelotent en attendant partie. Les grandes premières ne viendront guère avant le mois prochain. Seul, l'Odéon, a ouvert avec deux spectacles inédits, le Capitaine Fracasse de Bergerat, et le Don Carlos de Schiller. L'auteur des « Ours et fours » devra en ajouter un de plus à sa collection déjà si riche. Le pauvre Fracasse a été piteusement fracassé. Quant à l'adaptation du poète allemand, son insuccès ne fut pas moins complet.- Le bon oncle Sarcey, lui-même, si clément d'habitude aux tentatives odéoniennes, s'est montré d'une férocité étonnamment virulente chez un végétarien — car les végétariens passent pour n'avoir jamais de ces acharnements de carnassiers...

    Quoi qu'il en soit, Antoine n'a certes pas fait un heureux avatar en passant du Théâtre-Libre aux galeries de l'Odéon. C'est que le classique ne ressemble guère au théâtre rosse.

    Nous avons vu jouer à Lyon tout le répertoire d'Antoine, par lui et sa compagnie. 11 eut fallu un don de prescience singulier pour deviner qu'un jour ce genre de théâtre conduirait son initiateur au fauteuil directorial de l'Odéon. Et si le ministre qui fit ce choix inattendu a voulu « épater » ses comtoinporains, il n'est pas douteux qu'il y ait réussi pleinement.

    Seulement, le second Théâtre-Français ne semble pas devoir se féliciter beaucoup de cette aventure paradoxale. Vestibule de la Comédie par ses traditions et son but, on tend à faire de l'Odéon un Ambigu réaliste. Doux pays, dirait Forain. Pauvres contribuables, dirons-nous, que ceux dont on emploie les deniers à subventionner la déchéance d'une maison vouée jusqu'à présent au culte bien ordonné de Corneille, Molière et Racine.

    Nous autres Lyonnais, il ne faut point nous plaindre des débuts de nos théâtres. Aux Célestins, Madame Sans-Gêne continue à « engueuler » les princesses, aux applaudissements des galeries supérieures, ravies de voir une blanchisseuse devenue maréchale de France et duchesse, qui persiste à parler à la Cour le langage coloré des lavoirs... C'est un gros et durable succès d'argent.

    Au Grand-Théâtre, M. Vizentini, fidèle à sa fière renommée artistique, nous a tout d'abord présenté le dessus du panier de sa troupe, où des artistes d'un rare talent comme Mmes Litvinne, Valduriez et Janssen, MM. Cossira, Delvoye et Beyle, encadrés par toute une élite remarquable, nous assurent des brillantes destinées de l'Opéra lyonnais. Le programme de cette année est d'ailleurs composé avec une louable hardiesse d'initiative. Nous entendrons une bonne douzaine d'opéras nouveaux ou inédits. De sorte que ce Théâtre-Lyrique que Paris regrette de n'avoir plus et cherche à reconstituer, M. Vizentini l'apporte à Lyon, en dépit de ressources moindres et de difficultés plus grandes.

    Cependant ce n'est ni à Paris ni à Lyon que se passera le grand événement théâtral de la saison. C'est dans la ville éternelle. C'est à Rome. Le Pape se fait imprésario. Il ouvre un théâtre au Vatican, dans le palais sacré demeuré jusqu'en cette fin de siècle infailliblement hostile aux divertissements profanes...

    Voilà qui n'est point d'un esprit banal. Le successeur de saint Pierre devenant confrère de M. Antoine ! Grégoire VII qui l'eût dit, Pie IX qui l'eût cru ! Je sais bien que le répertoire ne ressemblera en rien à celui du Théâtre-Libre, qu'on ne jouera au Vatican ni Leurs Filles, ni l'Ecole des Veufs, puisque la plus sévère des censures, qui est à n'en pas douter la Congrégation de l'Index, veillera sur la composition des programmes.

    N'importe. C'est une innovation considérable pour Cabotinville, pour ces comédiens que l'Eglise excommuniait jadis. N'est-ce point leur apothéose, et comme la sanctification définitive d'un art qui jusqu'à ce jour sentait le fagot ?

    Napoléon Ier donna un jour aux acteurs un parterre de rois. Léon XIII leur fait une salle de cardinaux. Es-tu content Brichanteau ?

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