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Causerie.

On vient d'inaugurer, à Roubaix, le monument de Gustave Nadaud, l'aimable imitateur de Béranger, rendu célèbre par sa chanson des Deux Gendarmes et par d'autres refrains d'un épicurisme facile et d'une satire souriante.

Les Deux Gendarmes ont été jugés irrévérencieux en leur temps. C'est qu'on était sous l'Empire qui ne badinait point avec les écrivains frondeurs. C'est le trait final de la chanson qui fit poursuivre Nadaud :

...On entendit un vague son :Brigadier, répondit Pandore,Brigadier, vous avez raison !

À ce mot gaulois toute la Gaule s'esclaffa. Nadaud fut traduit devant les tribunaux qui trouvèrent mauvaise odeur au « vague son ». On l'acquitta et à partir de ce jour il devint l'ami de l'Empire... Le Caveau se transformait en antichambre.

Le « vague son » a donc valu pour une bonne part à Nadaud les honneurs du buste inauguré dimanche. Sur le socle et les soubassements de ce monument, l'artiste a sculpté des roses et des oiseaux. J'aurais préféré les deux gendarmes chevauchant le long d'un sentier et Pandore s'inclinant respectueusement au souffle du « vague son » hiérarchique, avec 1 exergue : Brigadier, vous avez raison ! Mais voilà : la sculpture est inapte à rendre les vagues sons. C'est affaire de musique...

Cette musique-là paraît particulièrement agréable à la ville de Limoux, dans l'Aude, qui vient d'organiser un concours départemental de haricots. Un jury composé d'agriculteurs distingués aura le grand honneur d'examiner et de juger ces harmonieux légumes. Tâche agréable sans doute, mais non pas sans difficultés. Car il devra, d'après le règlement du concours, classer les haricots non seulement sur leur bel aspect et leur poids, mais aussi sur leur saveur. D'où nécessité d'en absorber considérablement.

L'Aude aura ce jour-là une belle audition ! Li Hung Ghang aurait pu occuper avec compétence la présidence de ces pianos du pauvre, lui qui en jouait si bien au nez et à la barbe, — surtout au nez, — de M. Protocole suffoqué. Mais il est parti. Il a rejoint son gouvernement de l'Empire du Milieu, où il peut jouir sans scandale de la première des libertés pour un Céleste, qui est celle du ventre. A son défaut, la personnalité la mieux qualifiée pour exercer l'honneur retentissant de présider les haricots de Limoux me parait être M. Armand Silvestre, dont la lyre vibra si souvent au souffle des « vagues sons » et qui célébra la rose des vents en des chroniques débordantes d'enthousiasme. Et puis il est du Midi...

Ah ! ce Midi ! Pourvu mon Dieu qu'il ne se lève pas le jour du concours de Limoux ! Mlle Couëdon, hantée de sinistres visions de fin du monde, croirait entendre la trompette du jugement dernier !

Mais cette digression sur les haricots de Limoux nous a fait oublier le monument de Nadaud. Il n'a pas eu de chance le buste du chansonnier. Il a plu torrentiellement le jour de l'inauguration, de sorte que la chanson, représentée par de nombreux disciples, a eu ses ailes toutes mouillées.

Rien n'est plus fâcheux que la pluie pour ces cérémonies. Elle écarte l'affluence et glace l'enthousiasme. Il arrive même qu'elle cause des mésaventures cruellement fâcheuses, si j'en juge par ce qu'il advint à l'inauguration par M. Brunetière du buste d'Augustin Thierry, lors des fêtes organisées à Blois pour le centenaire du grand historien.

Par suite d'un malentendu ou d'un retard, il n'y avait pas de buste. Il en fallait un, cependant, pour permettre à l'éloquent immortel de placer sa harangue classique et ses périodes lapidaires. A la hâte on fit donc un buste en carton pâte et en stéarine. Et même il faisait très bien sur le socle entouré de verdures... Mais le malheur voulut qu'une pluie diluvienne dégringolât sur la fête à l'heure des discours. M. Brunetière impassible, cambré dans son habit à palmes comme une soldat sous l'uniforme, indifférent aux douches célestes, n'en répandait pas moins sa prose à la Bossuet. Tout à coup, le buste se mit à pleurer. De grosses larmes tombaient de ses yeux...

On crut d'abord à un miracle causé par l'éloquence de M. Brunetière, — tel Orphée attendrissant les pierres. Mais non. C'était tout simplement la stéarine qui fondait. Pou à peu, de profonds sillons se creusèrent dans la face du pauvre Augustin Thierry. Le nez devenait minuscule ; les joues s'évanouissaient. Quand M. Brunetière, toujours impavide, eut terminé sa péroraison, il n'y avait plus de buste. Comme un bougeoir recueillant les restes d'une chandelle fondue, le socle ne supportait plus qu'un amas informe de matière stéarineuse.

La morale de cette histoire, c'est que si on doit jamais inaugurer votre buste, exigez par testament qu'il soit en vrai marbre, ou bien stipulez tout au moins qu'on le surmonte d'un parapluie...

Jacques Mauprat.

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