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    Causerie Lyon, le 9 novembre 1892.

    Avec M. Massicault c'est une haute personnalité presque lyonnaise qui disparaît. Le résident général en Tunisie, avait, en effet, conquis droit de cité parmi nous, par ses cinq années d'administration préfectorale, et aussi, vers 1860, par ses débuts dans le journalisme, au Progrès — qui était alors le seul organe républicain de la province.

    Comme publiciste et comme administrateur, M. Massicault a fourni la plus brillante carrière. Et pourtant ses origines furent bien modestes! Celui-là fut vraiment le fils de ses oeuvres, et s'il arriva peu à peu à s'élever du rang le plus infime jusqu'aux plus grandes situations, c'est à son labeur persévérant et à sa valeur intellectuelle qu'il le dut.

    Notre ancien préfet naquit en 1838, dans le Cher, d'un simple instituteur de village. Le père Massicault était un fort brave homme, mais il n'avait guère d'autres ressources que les maigres émoluments de sa place, et, avec cela, une ribambelle d'enfants ! Tout ce petit monde s'éleva un peu comme il put, et chacun dut quitter le foyer paternel pour gagner sa vie à la force du poignet. Tout jeune, Justin Massicault avait déjà donné des preuves d'une précoce et vive intelligence. On eut la chance d'obtenir pour lui une bourse dans une institution. Il en sortit avec ses diplômes de bachelier en poche, pour entrer comme maître d'études au lycée de Mâcon. Détail amusant, et qui montre le journaliste pointant sous le collégien : le fils de l'instituteur, encore en rhétorique, fabriquait déjà, à lui tout seul, un journal manuscrit que ses camarades s'arrachaient, et dont la lecture coûtait deux sous!

    Le futur préfet du Rhône avait pour compagnon de misères au lycée de Mâcon, un autre pion, Berrichon lui aussi, qui fit depuis, de son côté, un assez joli chemin : notre éminent confrère Henri Maret. Je me souviens d'avoir entendu: raconter à M. Massicault, que pour assister décemment aux soirées du proviseur, Maret et lui étaient obligés de se fabriquer des faux-cols et des manchettes en papier... Qu'il y a loin de ce linge improvisé à l'habit chamarré de ministre plénipotentiaire, que devait porter plus tard le résident général de France à Tunis, commandeur de la Légion d'honneur !

    Au Progrès, M. Massicault se tailla tout de suite une place. Il excellait dans les articles de polémique, courts et acérés, par lesquels les courageux et rares républicains du moment commencèrent la bataille contre l'Empire. Du Progrès il passe à la Gironde, et en 1870, Gambetta le nommait préfet de la Haute-Vienne. Révoqué après la chute du gouvernement de la Défense Nationale, M. Massicault mena dans la presse, soit en province, soit à Paris, jusqu'en 1877, une superbe campagne on faveur des idées républicaines. Ayant été à la peine, parmi les plus utiles et les plus vaillants, il était juste qu'il fût à l'honneur, et la République triomphante le fit successivement préfet de la Haute-Vienne, de la Somme et du Rhône.

    M. Massicault avait adopté, comme règle invariable dans la pratique administrative, cette maxime de Gambetta : Il faut gouverner pour tout le monde, mais avec ses amis. Ce principe de saine justice, habilement, appliqué, donnait à son administration un caractère à la fois conciliant et ferme, dont lui surent gré tous les gens impartiaux. D'une science profonde en affaires, infatigable abatteur de besogne, doué d'une étonnante rectitude de jugement, d'un abord accueillant et courtois, M. Massicault possédait toutes les qualités qui font les grands administrateurs. Aussi en fut-il un. Les Lyonnais, qui l'ont vu à l'oeuvre et qui l'ont jugé sur les résultats, ne l’ont pas oublié.

    A Tunis, pays neuf où tout était à créer, un homme comme lui devait laisser des traces durables et fécondes de son passage. Il n'a pas failli aux espérances que sa nomination avait fait naître. Malgré les calomnies de la presse italienne, intéressée à amoindrir le représentant de la République française, le résident général sut donner à notre belle colonie un puissant essor. Il eût fait mieux encore si la mort lui en eût donné le temps...

    Il avait beaucoup d'amis dont il était adoré. Et ces amis n'étaient pas seulement choisis parmi les puissants du jour, car M. Massicault ne rougissait pas de ses origines plébéiennes. Tout au contraire, il en était fier. Personne, plus fidèlement que lui, ne garda au coeur le souvenir et le souci de ses amitiés d'enfance, même les plus humbles. Mérite qui n'est, hélas ! ni mince, ni banal !

    Bref M. Massicault fut un homme de coeur et de probité, et un homme utile à son pays. N'est-ce pas là le résumé d'une belle vie ?

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